Ma surprise du jour où j’ai reçu un courriel de Maurice Nadeau qui acceptait mon roman, cette surprise est toujours intacte et indépassable. Je lui avais envoyé mon manuscrit par la poste, de la côte est du Maine aux États-Unis (où je vivais, « penniless », sur une propriété de millionnaire), sans recommandation, sans contact, sans connaissances dans le milieu littéraire français. Il n’avait mis que trois semaines à lire mes deux cents feuillets « US letter », et à me répondre. Je lui ai demandé confirmation par courriel, puis il a fallu que je lui téléphone : je n’arrivais pas à y croire.
Être publié par Maurice Nadeau, un homme qui a découvert publié ou cotoyé tout ce que la seconde moitié du vingtième siècle et même le début du vingt-et-unième comptent de grands noms de la littérature, me fait l’effet d’un effarant passage de témoin, d’une nomination, d’un appel, d’un privilège qui entraîne aussi des devoirs exigeants, pour être à la hauteur de sa faveur. La lucidité de son grand âge a aussi bouleversé la conception que je me faisais de mon existence d’artiste et de son déroulement dans le temps. Je songe souvent à cette célèbre main divine, dans la chapelle Sixtine, par laquelle le créateur insuffle la vie à Adam. Baptême, si l’on veut. Ci-dessous la présentation de Maurice Nadeau sur le site des Éditions Maurice Nadeau.
« Un homme multiple centré sur la littérature
Maurice Nadeau, né en 1911, a connu Aragon, Breton, Prévert, Péret au fil de ses années militantes d’abord au PCF puis dans l’organisation trotskyste « La ligue Communiste » dans les années trentes. Il tire de ces rencontres une « Histoire du Surréalisme » publiée en 1945 qui sert encore aujourd’hui de référence. Il échappe de justesse aux rafles qui frappent son réseau de résistance qui comprenait fait exceptionnel un soldat allemand. Ce dernier sera fusillé pour sabotage et plusieurs des militants, notamment David Rousset, partiront en camp de concentration.
Il entre à la Libération dans le journal issu de la Résistance « Combat » dirigé par Albert Camus dont il va très vite tenir la page littéraire durant 7 ans. C’est ainsi que dans cette fenêtre sur la littérature, René Char, Claude Simon, Henri Miller, pour ne citer que ceux-là, y seront révélés ou défendus. Céline lui-même confiné dans son exil pourra y trouver un appui. « Les écrivains ont le droit de tout écrire ». Après « Combat », Maurice Nadeau est critique à « l’Express » de François Giroud puis au « Nouvel Observateur ».
Parrallèlement, il dirige une revue littéraire, « Les Lettres Nouvelles », chez l’éditeur Julliard où il aura comme voisin de palier la revue de Jean-Paul Sartre « les Temps Modernes » avec laquelle il entretiendra de bons rapports. Ces liens seront particulièrement renforcés à l’occasion de son inculpation pour la diffusion du « Manifeste des 121 » défendant le droit à l’insoumission pendant la Guerre d’Algérie.
Longtemps directeur de collections chez de grands éditeurs comme Corréa-Buchet-Chastel, Julliad, Denoël, le Mercure de France ou Robert Laffont, il prend son indépendance en 1984. Il est encore aujourd’hui, à 98 ans, éditeur à son compte des « Éditions Maurice Nadeau » et directeur de publication de « La Quinzaine Littéraire » depuis plus de 43 ans.
On a dit de lui qu’il est découvreur de talents en littérature. Il a permis, en effet, la publication en France des premiers ouvrages de nombreux écrivains comme « Les Jours de notre Mort », le premier livre sur les camps de concentration de David Rousset, prix Renaudot 1945, « La rage de vivre » de Mezz Mezzrow », « Au-dessous du Volcan » de Malcom Lowry, qui depuis est devenu un grand classique, l’écrivain noir américain Richard Wright, des écrivains de la Beat Generation, Jacques Kerouac et Lawrence Ferlinghetti, « Élise ou la Vraie Vie » de Claire Etcherelli, adapté au cinéma par Michel Drach, « Les Choses » de Georges Perec, prix Renaudot 1965, « Ferdydurke » du grand écrivain polonais Witold Gombrowicz, les poèmes de Pier Paolo Pasolini ou encore « Les Récits de la Kolyma » de Varlam Chalamov dont s’est inspiré Soljenitsine pour écrire son histoire du Goulag.
Il a publié aussi une étude sur Sade en 1947 et la trilogie d’Henry Miller, « Sexus », « Plexus », « Nexus », malgré la censure qui sévissait dans l’après-guerre. Avant de faire son entrée à l’Académie Française, Hector Bianciotti a fait ses débuts dans la collection des « Lettres Nouvelles » qui abrite aussi l’ensemble de l’oeuvre de Léonardo Sciascia, de J P Donleavy ainsi que celle de l’écrivain suédois Stig Dagerman.
Devenu éditeur à part entière, il a publié les inédits d’Henry James, l’écrivain sud-africain Coetzee (prix Nobel de littérature 2003) et poursuit sa prospection de jeunes auteurs avec récemment « Extension du Domaine de la Lutte » de Michel Houellebecq devenu un livre culte auprès des jeunes lecteurs ainsi qu’un ouvrage percutant inspiré de la guerre de Bosnie « Les deux fins d’Orimita Karabegovic » de Janine Matillon. Tout dernièrement, « Le non de Klara » de Soazig Aaron a obtenu le prix de la Bourse Goncourt du premier roman 2002. »