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Sade/attaquer le soleil à Orsay : cachez ce phallus (et ces livres) que je ne saurais voir !

Affiche-SadeSi l’oeuvre du divin marquis est un constant effort de transgression, une rage de destruction des valeurs et des bienséances, une brûlante intempérance de langage associée à une grammaire glaciale, une irrémissible cataclysmique orgie de sens et de mots, en revanche l’impression principale produite par l’expo d’Orsay sur son visiteur est celle de la frustration. Quelle occasion manquée ! Car de littérature il n’est pas question : mais de psychologie, d’histoire, d’iconographie sans guère de lien, avec l’oeuvre de l’auteur… Bref quelques citations agrémentées des bonnes femmes à poil… Et c’est là que la bât blesse, pour une part : car le bas, justement, chez Sade, n’est pas uniquement féminin ! Dans ses livres, que de fiers braquemarts ! D’érigées colonnes ! De gitons, de valets fouteurs, de bardaches ! D’enculades ! Quel extraordinaire puritanisme, quel machisme, ont pu faire qu’une exposition entière consacrée à Sade nous laisse sans une bite à nous mettre sous la dent, si je puis me permettre ce mauvais jeu de mots ? Et par ailleurs, pardon ! mais Sade appartient à la littérature ! Or de littérature, il n’en est pas question, ni de son style (dont les origines sont à cheval entre le roman à épisodes du XVIIIè et la prose philosophique radicalement matérialiste de d’Holbach). Quant à sa postérité, on croirait qu’elle se limitât à Annie le Brun (dont on apprécie la plasticité des commentaires bien qu’on les connût par coeur et qu’ils n’allassent pas plus loin que la pâmoison étonnée) et à Georges Bataille. Sans même mentionner mon propre roman Sadien, pas un mot sur la magnifique biographie de Sade par Maurice Lever, le vrai spécialiste du libertinage !  pas une référence aux romans(?) de Pierre Guyotat, parmi les plus importants des 50 dernières années ! ni, puisque l’on voulait parler d’Histoire, au livre d’Éric Marty sur la réception de Sade après guerre ! Une visite à la librairie du musée est à l’avenant. Ce démembrement thématique de l’oeuvre pour la répartir entre histoire, psychologie et art, nous paraît à l’image de l’actuelle occultation que l’on fait en France de la littérature comme travail du langage, comme style ; occultation — voire refoulement — voire simplification — qui a pour effet de nous donner la tépide production littéraire que l’on sait, et l’anéantissement plus particulier de la poésie.

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12 years a slave : occasion de redire que l’esclavage est un mode du capitalisme

12 years a slave, affiche du film     Avec ce film très spielbergien, Steve Mc Queen a payé son entrée dans la cour des grands : des américains, des oscarisés, des blockbusters. On peut regretter l’intensité retenue, la grâce macabre et austère, les choix esthétiques angulaires et brutalistes, enfin le silence, de son film Hunger (—je n’ai pas vu Shame), il n’en reste pas moins que l’histoire vécue de Solomon Northup, telle qu’exposée dans ce film-ci, est terrifiante, et touche aux gouffres de l’Histoire et de la conscience humaine. Le ticket d’entrée dans la cour des grands s’affiche, en fait, durant les 20 premières minutes du film, presque inacceptables : musique sirupeuse et pathétique, râclements lugubres et autres bruits effrayants de films pour adolescents, surtout ramassis des clichés sur l’esclavage :  le sadisme du maître blanc, les coups gratuits, le peu de valeur de la vie du noir, le viol sur le bateau…       Tout semble aussi mal engagé pour le protagoniste que pour la véracité historique du film, mais heureusement la deuxième partie rend justice à la destinée manifeste de l’esclave Solomon : celle d’être un « nègre à talent », en l’occurence un violoniste ET un charpentier, capable de mener à bien des projets complexes. Une telle « pièce d’Inde », un tel esclave, était d’une grande valeur, et c’est un non sens, contra-logique, d’imaginer que le négrier aurait pris le risque d’endommager un tel ouvrier en le battant inconsidérément — de même qu’on ne peut concevoir qu’un simple matelot, sur le bateau, ait la liberté d’assassiner à sa fantaisie l’un des éléments de sa précieuse cargaison humaine, comme on le voit dans le film.
Répétons-le une fois de plus : le sadisme convenu et les maltraitances attendues sont un non-sens économique : l’esclave représente une valeur marchande, ainsi qu’un potentiel de travail, qu’il est inconséquent d’endommager ; c’est un « bien meuble », et un propriétaire ne casse pas ses biens pour s’amuser, pas plus qu’un paysan n’estropie son cheptel par perversion.
L’essence du système esclavagiste est en fait très bien résumée dans la mise-en-garde d’un « supervisor » (un « commandeur », comme on le disait en pays français) à l’attention des petits blancs qui s’apprêtent à lyncher Solomon : vous n’avez pas de droits sur cet esclave, leur dit-il en substance, il appartient à son maître M…, qui a contracté une dette considérable pour l’acquérir.
Au risque de passer pour un marxiste invétéré, il faut le dire et le redire : le système de production esclavagiste est à appréhender d’un point de vue économique (cliquer) (voir aussi cette bibliographie (cliquer)) ; l’esclavagisme est un mode du capitalisme, son existence se comprend et son fonctionnement s’analyse en termes de valeur, de production, de rentabilité et d’insertion dans le commerce mondial.
Après ces mises-en-place assez réalistes le film, suivant le transfert de Solomon sur une autre plantation dirigée par un propriétaire alcoolique, illuminé, pervers et obsessionnel, vire à l’habituel approche psychologisante et pathologisante de la relation maître-esclave. Je n’en dirai pas plus sur la suite des événements, et après tout au spectateur d’en juger, mais je reconnaîtrai avoir été perturbé par cette évolution, qui me semblait regrettable, de la narration : car, dans mon roman Plantation Massa-Lanmaux, n’avais-je pas, moi aussi, cédé à cette tendance psychologisante facile ? Je dirai pour ma défense — défense devant les reproches que peut me faire  ma conscience d’artiste —  qu’au moins, dans mon roman, ai-je tenté de porter à l’extrême le balancier : le poussant carrément dans la fantasmagorie sadienne où, je l’espère, il n’est laissé aucune illusion au lecteur sur le vraisemblable historique des situations fantasmatiques où il est transporté. Cela ne signifie pas que je désespère, au gré des stress psychiques que j’espère avoir mis en place, d’avoir pu jeter quelque lueur sur les structures à l’oeuvre dans ce pan d’histoire humaine.
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Django Unchained de Tarantino : débile et dégueulasse

Django-Unchained-Quentin-Tarantino-du-sang-encore-du-sangLe dernier film de Tarantino plaira aux adolescents accros aux « shooter games », ces jeux videos où l’on avance une arme à la main en tirant sur tout ce qui bouge. Je n’y ai pas décompté précisément le nombre de meurtres mais ils doivent avoisiner la centaine. On y voit aussi des cervelles éclatées, des gens qui se crèvent les yeux, des gens qui s’arrachent la tête, un type dévoré par les chiens…En revanche pas le moindre poil de foufoune de la nuit de retrouvailles du héros avec sa dulcinée : il s’agit bien d’un film qui vient du pays où l’on peut acheter une mitrailleuse et flinguer 40 personnes, mais où l’abstinence est enseignée au lycée et la vie sexuelle des hommes et femmes politiques passée au peigne fin par une nation de censeurs frustrés.
Si vous voulez voir un film, un vrai — pas une machine pulsionnelle et débile à destination de l’audience infantile — voyez, basée sur la même prémisse d’une plantation d’esclaves consacrée à l’organisation de « combats de nègres », le remarquable Mandingo, de Richard Fleischer. Tarantino le cite d’ailleurs visuellement, empruntant des scènes entières à ce grand classique. Toutefois, chez Fleischer, en sus d’un art supérieur et d’une complexité (et d’une liberté de ton en matière de sexualité), qui malheureusement datent d’une autre époque il était admis que l’on avait affaire à une organisation minoritaire, secrète, quelque puits secret de l’enfer, où l’humanité avait cessé. Chez Tarantino aucun possibilité n’est offerte de douter de l’existence de ces organisateurs de combat d’esclaves, dont il faut dire tout de même qu’ils n’ont sans doute jamais existé, et ne sont attestés nulle part. Le premier a les avoir inventé fut le romancier Kyle Onstott, le second a traiter le sujet le cinéaste Fleischer, puis… l’auteur de ces lignes, qui en fit une scène surréaliste de son roman Plantation Massa-Lanmaux… Enfin Tarantino, chez qui on ne trouve aucune mise à distance, exemplarité, réflexion, aucune autre option esthétique que l’ultra violence, enfin en général aucun traitement historique, aucune réflexion, ni aucune connaissance réelle des conditions socio-économiques de l’esclavage (au sujet duquel j’ai quand même lu 30 ou 40 livres, dont je ne retrouve absolument rien ici), que du remaniement de clichés. Bref, un film dans la tradition de la blaxploitation des années 70, mais hyper-violent, dégueulasse et débile — je ne prends même pas la peine de montrer l’inanité du scénario, cousu de… cousu de rien du tout, si ce n’est d’intestins déroulés et de purée de méninges. Si Tarantino et ses admirateurs ont soif de sang, qu’ils aillent faire un tour en Syrie, en Irak, ou en RDC… Le sang coule partout, et la douleur des hommes, à tout moment. Pour de vrai, pas pour rire. En voyant le film je me suis souvenu des pilotes de guerre américains de la guerre en Irak, qui témoignaient qu’ils avaient l’impression de jouer à des videogames, en appuyant sur les boutons qui larguaient des bombes sur des populations militaires et civiles.
On a déjà tourné des navets, on a déjà tourné des films « dignes du plus profond mépris », mais je crois que le plus déprimant dans tout ça est que la critique applaudisse et crie au génie. Les thuriféraires de Tarantino ont-ils déjà vu un Pasolini, un Visconti, un Resnais, un Godard ? Fassbinder, Jarmusch, Cassavetes ?… Ou la critique dans les journaux est-elle le fait de grands adolescents qui ne connaissent rien du cinéma antérieur à leur premier ipod ? Je n’en sais rien. Mais je reviens sur la position optimiste qui était la mienne lors de débats avec des ami(e)s : peut-être aviez vous raison, et que le cinéma contemporain, c’est de la merde.

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« La mécanique sadique de l’esclavagisme. Un roman qui vous prend doucement pour vous emmener au cœur de la folie raciste. »

Sade, Attaquer le soleilÀ l’occasion de l’exposition Sade du Musée d’Orsay, je republie l’article ci-dessous, du site Exigence Littérature (http://www.e-litterature.net/publier3/spip/spip.php?page=article5&id_article=248&fb_source=message)

Il répondait à un article plus ancien de Maurice Mourier dans La Quinzaine Littéraire ( http://laquinzaine.wordpress.com/2011/03/03/yann-garvoz-plantation-massa-lanmaux/)

Plantation Massa-Lanmaux – Yann Garvoz

mardi 31 juillet 2012, par Penvins
©e-litterature.net

La mécanique sadique de l’esclavagisme. Un roman qui vous prend doucement pour vous emmener au cœur de la folie raciste.

 

Le roman commence dans un style qui évoque la tragédie grecque, il se terminera dans la langue de Sade. Cette rupture de style a pu paraître à certains une faute de goût, voire une atteinte aux bonnes mœurs littéraires. Pour ces gens-là on n’a pas le droit d’échapper à la distance classique, de se laisser aller à la folie sadienne, et sortir de la maîtrise de la langue serait du Grand Guignol. Comme si l’esclavagisme pouvait se lire dans une langue contenue en une sorte d’analyse sociale, ou de composition littéraire fut-elle héritée des meilleurs auteurs antiques. Alors que c’est, tout au contraire, la force de ce roman de ne pas s’être enfermé dans la clarté organisationnelle d’un texte classique et que l’emprunt fait à la langue de Sade, loin d’en copier les défauts, met en valeur une dimension intime de l’esclavagisme qu’aucune étude historique n’aurait permis de rendre, et dévoile des ressorts pulsionnels que l’on évite habituellement de mettre en avant. Sans la violence de cette sexualité sadienne, sans la jouissance perverse de posséder comment peut-on rendre compte du crime esclavagiste ? Est-ce que cette folie-là est de l’ordre de la vraisemblance ? – dont on ne devrait sortir comme je l’ai vu écrit – je ne le pense pas, cette folie-là est bien invraisemblable, elle ne peut se lire si l’on s’en tient à la règle implicite du romanesque, paraître vrai au lecteur épris de rationalité et de bon sens. Mais les scènes de débauche outrancière dont on voit bien qu’elles gênent ne sont pas plus irréelles que ne le sont les analyses factuelles du commerce triangulaire. La cupidité des armateurs n’est pas la seule explication de ce trafic inhumain et c’est bien ce que fait sentir Yann Garvoz en inscrivant son roman dans la rupture.

Pour moi, ce roman ne peut se lire en écartant la transgression stylistique qui le fonde. Loin d’être ennuyeuses comme elles peuvent parfois l’être chez le Divin Marquis les scènes de débauche provoquent d’autant plus d’excitation qu’elles s’insèrent dans un récit que l’on avait cru politiquement correct, un récit non pas philosophique, mais une romance bien pensante, le héros revenu de métropole va se faire le chantre de la libération des esclaves. Mais alors que l’on s’imagine que Donatien rentré aux Antilles sera le messager des Lumières, à la suite d’une déception amoureuse tout bascule. On est bien là dans l’ordre de ce que d’aucuns appelleraient l’irrationnel, voire le passionnel, pourtant que l’on fasse bien attention : il ne s’agit pas d’une vengeance amoureuse mais d’un déferlement destructif et surtout jouissif. Ce qui sous-tend l’esclavagisme c’est cela, le plaisir pris à humilier et à détruire, ce qui lui donne une force capable de défier l’entendement, de résister à l’esprit des Lumières, c’est cette jouissance d’humilier l’autre et de s’humilier soi-même en tant qu’être humain. Donatien se révélera le pire des esclavagistes parce qu’il a cru que Charlotte l’aimerait et qu’elle l’a rejeté pour Hanus, faute d’obtenir l’amour il jouira de le nier. Grand Guignol dites-vous, méprisant toute théâtralisation qui s’écarte des canons de la langue classique, Grand Guignol, je vous l’accorde mais à la manière d’un Grand Magic Circus, une mise en scène fantasmatique qui se moque des règles de la bienséance littéraire et n’a pas peur d’affronter la cruauté du monde dans un grand éclat de rire provocateur. Bien sûr ces scènes-là ne sont pas vraisemblables, mais elles disent beaucoup plus que n’aurait dit une démesure sous contrôle, elles mettent à nu les passions que cachaient les rouages socio-économiques de l’esclavagisme, disent à quel point la violence n’est pas seulement un moyen de contraindre au travail forcé mais indépendamment de toute considération matérialiste, une jouissance qui ne se connaît plus de limites.

Pour toutes ces raisons je considère que ce roman est une complète réussite.

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VIDÉO : Lecture publique d’un extrait du prologue de Plantation Massa-Lanmaux

Une première soirée de lectures publiques des finalistes, précédait de 24 heures la remise du prix littéraire Trillium décerné par la Société de développement de l’industrie des médias de l’Ontario, (SODIMO, un organisme qui relève du ministère du Tourisme, de la Culture et du Sport de la Province de l’Ontario).
Ce furent deux belles soirées, consacrées aux auteurs et à la littérature (avec, évidemment, l’inévitable enrobage média et partysant, qui par moments finit par recouvrir l’objet qu’il est censé célébrer). Néanmoins, durant les deux soirées, j’ai eu l’impression que tous nous rendions hommage sans discussion aux formes traditionnelles de la littérature, de sa création à sa production à sa réception, alors même que sous ces formes elle est chahutée par les nouvelles technologies : liens hypertextes des liseuses, livres multimedia, bientôt oeuvres qui se modifieront en fonction de vos données personnelles, de votre localisation, de votre carnet d’adresse, voire de l’environnement sonore et lumineux au moment de la lecture, de l’inclinaison de la liseuse… Les possibilités sont vertigineusement infinies, qui probablement vont transformer l’acte de lecture dans la décennie à venir. Or, sur les deux soirées, pas une seule fois le mot « internet » ne fut prononcé, non plus que celui de « numérique ».
Je me promettais, si lauréat, de dire un mot sur le sujet à la tribune, Alas ! Poor Yorick, l’occasion ne nous fut donnée, ni le Trillium. Renvoyons donc à de futures discussions, inévitables, les questionnements sur la nature changeante du livre.
Le premier lien est celui de ma propre lecture : d’abord la présentatrice de la soirée, puis votre serviteur à 1min20 du début, lecture du prologue de Plantation Massa-Lanmaux à 2min30.
Ensuite, j’ai voulu profiter de cet écran pour ajouter la lecture, durant la même soirée, par Joëlle Roy, d’un extrait de son roman XMan est Back en Huronie, qui m’a paru très intéressant (je l’ai acheté mais pas encore lu) pour son  travail sur la géographie et la langue française du nord de l’Ontario. Et puis, en troisième lien, les poétiques Apocryphes du Coeur de l’ami François Baril Pelletier. Enfin, pour les anglophones, le lauréat du prix du roman de langue anglais, Phil Hall ; et la lecture truculente de son Idaho Winter par Tony Burgess, personnage haut en couleur, talent, humour.
Disclaimer : je n’ai encore lu aucun des livres de ces confrères !

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LE MÉTROPOLITAIN – Nouvelles / Yann Garvoz, toutes les larmes des Antilles / 06 juin 2012

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LE MÉTROPOLITAIN – Nouvelles

Yann Garvoz, toutes les larmes des Antilles

06 juin 2012
par Raphaël Lopoukhine

Yann Garvoz est agrégé de mathématiques. Par plaisir, il a aussi passé une maîtrise de littérature. Enseignant au Lycée français, il est surtout écrivain. Un écrivain franco-ontarien depuis cinq ans maintenant qu’il vit à Toronto.

Dans la vingtaine, il est parti, comme tous les jeunes hommes de son âge, faire son service militaire. Lui, le passe dans les Antilles, en Guadeloupe. Par intérêt, par curiosité pour l’endroit où il vit, il s’intéresse à l’histoire des Antilles. Une histoire marquée par l’esclavage. Ses lectures et ses découvertes le choquent. « En tant que Français, j’ai eu l’impression d’avoir du sang sur les mains », explique-t-il. Un étrange sentiment. « Pas celui de culpabilité, mais celui d’être marqué. » La famille de l’écrivain n’est liée en aucune façon au trafic d’êtres humains.

C’est de ce sentiment que naîtra l’envie d’écrire le livre qu’il présenté à l’Alliance Française le jeudi 31 mai : Plantation Massa-Lanmaux. L’histoire d’un échec. Celui de Donatien, d’abord. Jeune premier naïf revenu de France vers la plantation familiale avec des idées modernes, celles des lumières, plein la tête. Et qui va tenter, en vain, d’appliquer ces idées à la plantation de son père, qui fonctionne sur un système de soumission totale des esclaves « noirs », à leurs maîtres « blancs ».

Yann Garvoz a répondu, en public, aux questions de la journaliste Sophie Perceval, qui officie sur les ondes de Radio-Canada, ainsi que sur TFO. Un exercice auquel la jeune femme est habituée, si ce n’est que pour une fois, elle connaissait personnellement l’auteur qu’elle interviewait.

« Je l’ai rencontré dans la communauté française. Je l’ai rencontré avant de le lire. Je ne m’attendais pas à lire ça. J’ai été très surprise. » Surprise par ce style, « touchée et séduite ».

Le style de Yann Garvoz est unique. Au delà du pléonasme (chaque écrivain a un style unique, sinon, ce n’est pas un écrivain), on trouve une réelle singularité dans cette façon de mêler le lexique du XVIIIe siècle et les formules plus contemporaines. « Un effet d’étrangeté » s’en dégage, comme le soulignait Sophie Perceval. On ne connaît pas l’ensemble des mots, parfois techniques, employés. Mais on devine, parfois. Cela suffit.

Le livre est dur. Certaines descriptions violentes. La violence et l’horreur peuvent parfois être mises à distance par un vocabulaire lointain. Mais cette distance, au lieu de banaliser l’épouvante, la renforce. Et l’on se prend à réfléchir au paradoxe du plaisir qu’on éprouve à lire une scène monstrueuse. Un paradoxe tout à fait sadien (voire sadique). L’une des références assumées de l’auteur.

Mais au delà des paradoxes et des condamnations, il y a dans ce livre une critique acérée du système colonialiste. Un système qui déteint sur les esprits, dont on ne sort pas et qu’on ne détruit pas si facilement. Lorsqu’un personnage tente de fuir, il se trouve confronté à la réalité de l’île, métaphore concentrationnaire du système.

Yann Garvoz a écrit son livre à une époque de refoulement du passé colonial de la France. À une époque où des députés de la majorité UMP déposaient une loi demandant la reconnaissance des « bienfaits de la colonisation ». À une époque où un candidat à l’élection présidentielle pestait contre la « repentance » et où, une fois élu aux plus hautes fonctions, allait expliquer à Dakar que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». C’est un livre de vérité, mais pas un livre de culpabilité, que propose Yann Garvoz.

Cet ouvrage lui a d’ailleurs valu d’être en lice pour les prix Trillium, qui récompensent chaque année le meilleur de la littérature ontarienne, francophone comme anglophone. Le nom des lauréats sera annoncé le 20 juin.

Photo : Yann Garvoz

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Première lecture publique de Plantation Massa-Lanmaux…

…et une belle expérience, pour moi et je l’espère pour le public. Merci à tous ceux qui se sont déplacés un jeudi soir à l’heure où les bureaux commencent tout juste à fermer, et merci aussi à ceux qui ne se sont pas déplacés parce que, finalement, nous étions je crois au complet dans la salle de l’Alliance Française. Je donnerai une seconde lecture, cette fois-ci sans le brillant concours de Sophie, le 19 juin à la Bibliothèque Centrale de Yonge Street, en compagnie des autres nominés du Prix Trillium. Ce qui m’a le plus étonné, outre la belle attention de tout le monde à la phrase littéraire et à la discussion littéraire, ce fut de constater comme tout lecteur peut se frayer un chemin qui lui est propre dans une oeuvre, et l’interpréter à sa guise. J’en suis extrêmement heureux parce que je crois qu’en deçà de ce degré de liberté on ne se trouve pas dans la littérature, mais dans l’écriture formatée, le story-telling, qui peut être envoûtant mais ne laisse pas le lecteur errer, s’interroger, critiquer, interpréter, imaginer, inventer, et en définitive participer à la création. Ainsi pour cette page que j’ai lue, où le pauvre La Tripe est massacré par des entrées de lexique technique : je ne m’attendais vraiment pas à ce que cette page, écrite presque par jeu et pour montrer que la violence des textes n’était après tout qu’une manipulation de signes, et un artifice, je ne m’attendais pas du tout donc à ce qu’elle choque plusieurs personnes, voire qu’elle soit considérée par des lecteurs comme la plus insoutenable du roman ! Ainsi soit-il, et je n’ai rien à y redire, car maintenant le livre ne m’appartient plus, et les clés que je croirais en avoir ne sont après tout que celles de ce que j’ai cru écrire (et qui n’a sans doute jamais été écrit), pas de ce que vous lirez.
Autre surprise : le succés, j’ose le dire tant c’était imprévu, de notre « lecture à deux voix », dont il était impossible de saisir le sens, sinon par fragments. Il y a la une piste à explorer, pour de future mises-en-voix ! En général, grand plaisir de mastiquer ces phrases à voix hautes, et de faire retentir dans l’air du XXIème siècle ces fantasmagories ancrées dans les siècles XVIème et XVIIIème, et cette langue intemporelle que j’ai essayé de fabriquer.

Bref, au grand plaisir de recommencer (déjà, le 19 juin), et merci à tous ceux qui ont permis, par leur organisation ou leur présence, cette soirée !

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Petite provende antiquisante du weekend : les mots et leur contre-erre

Rapide passage au marché des mots cette fin de semaine : tout rutilants qu’ils soient, comme des poissons sur l’étal, l’actualité m’a empêché d’accorder beaucoup de temps à mon approvisionnement.

Les mots sont donc étalés sur l’étal vivifiant de la page. L’étal est non létal, bien que ce que l’on y dispose se trouve en général déjà de l’autre côté du seuil tranquille. Mais de même que c’est lorsqu’elles franchissent ce trépas que certaines vies prennent tout leur sens (que l’on songe à Montaigne, pour qui la vie est préparation à la mort), de même le sens des mots déborde  parfois, se nuance ou se cerne, de celui de leur antonyme. Ainsi du mot « rime » : les doctes  débattent de son origine mais restent inconclusifs, le « rythme » étant un candidat sémantiquement décent, mais linguistiquement douteux, à être son ancêtre. Or il me plaît à moi de penser que la rime vient du latin rima, « fissure », malgré l’apparente distance de sens : car la rime vient justement combler l’inquiétante fissure entre les vers, et jeter un pont sur un abîme où, croirait-on, le langage cesserait abruptement, et le souffle expirerait — la rime c’est le signe de foi, c’est le liant qui nous rassure et nous prévient de la ruine du verbe au vertige de la marge. Car la ruine, c’est la chute, étymologiquement, loin des images de colonnes, murs ou autres remparts tendant, ascensionnels, leurs moignons antiques vers le ciel vide et le présent ingrat. Murmure des siècles… Le murmure en latin, d’ailleurs, admet toutes les gradations, du chuchotement au grondement : « un murmure terrible » devrait être tout aussi acceptable qu’un « murmure presque inaudible ».

Le murmure qui m’a pas mal occupé cette semaine, ce fut la nomination de Plantation Massa-Lanmaux au 25ème Prix Trillium du gouvernement de l’Ontario, et ma présence à la cérémonie de présentation des finalistes. Il s’agit de l’un des deux ou trois prix littéraires les plus importants du Canada, et je dois dire que la surprise et la joie ont bien occupé mes pensées, les détournant de leurs fructifications habituelles. En quelque sorte le Coût du Prix.

Fol est celui qui des mots ne retient que l’avers (et fol celui qui ne vit que dans leur revers).

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L’ÉCRIVAIN SHAMAN (?) I/III

Lien vers L’Écrivain Shaman II (cliquer)

Transe et possession, une émission de France Culture (cliquer sur le lien)

Après avoir été négligés par l’anthropologie structuraliste des années 1970, les rituels africains, asiatiques, nord ou sud-américains, de possession et de communication avec un autre monde, non seulement ont retrouvé la faveur des chercheurs, mais aussi celle du public occidental — au point qu’un « tourisme shamanique » se développe, plus ou moins naïf, plus ou moins respectueux, plus ou moins dévoyé.

Que vont chercher ces occidentaux, dans les cérémonies gabonaises associées à la prise d’iboga, ou au festival des « divinités noires » (vaudous) du Togo, ou lorsqu’ils vont quémander leur adoption par des plantes totem en Amazonie (le vaudou haïtien semblant hors d’atteinte actuellement, du fait des grandes difficultés à voyager dans le pays) ? L’explication habituelle est celle de la perte de sens dans nos sociétés modernes : des routards jeunes ou vieux, fortunés ou sans le sou, dans tous les cas précipités par leur vide à l’âme sur les chemins de ce que nous avons délaissé sans nous en rendre compte, à un moment inconnu de notre parcours. (Moment lointain, à en juger par l’incroyable nostalgie civilisationnelle suscitée, dès le début du XVIème siècle, par la découverte des « sauvages » : de Montaigne à Rousseau en passant par La Hontan).

Explication indéniable, néanmoins il me semble que s’ajoute une affinité élective supplémentaire de notre époque pour le shamanisme. Elle relève à mon avis de la difficulté à conserver le sens de la continuité de soi-même, de la cohérence de soi, en notre temps d’identités changeantes, de mutations, et de grands bouleversements qui vous balaient d’un bout à l’autre de la planète en rendant caduque les structures rassurantes de votre vie, avant que vous ayez eu le temps de dire Jacques Robinson.
Par ailleurs, « mondialisation » aidant, retrouve-t-on partout un peu du même — et qui ne s’y trouvait pas avant — en même temps que partout s’est perdu un peu ou beaucoup de ce qui s’y trouvait avant.
Enfin, sans faire preuve d’humanisme béat et d’irénisme, les signes se multiplient d’une nouvelle conscience planétaire de l’humanité — conscience tourmentée et en lutte avec elle-même, mais tout-de-même, qui réactualise la grande intuition prophétique d’un Teilhard de Chardin (le Point Omega…).
Or le shaman, s’il est délicat de donner une définition générale d’un personnage, d’un phénomène multiple et divers, paraît en tout cas toujours être celui qui relie les mondes, les consciences, les êtres, et autorise les transmigrations : il peut-être celui qui s’adresse aux instances qui sont en vous tout en vous étant inconnues ; être celui qui fera fondre les barrières entre les moi-s individuels, et vous donnera accès à la synesthésie, à la perception, ou à la sagesse d’un autre vivant, animal ou plante. À ce titre, s’il ne soigne pas les disruptions identitaires de l’occidental contemporain, le shamane les apaise en montrant que, loin d’être des anomalies, elles sont des crevasses par où passe un peu de la vraie nature du monde. Il déligitime le moïsme, désormais souffrant, de l’occident, et encourage l’acceptation que la vie n’est pas si monolithique. (Au coin de nos rues le psychanalyste est peut-être le shaman rationnel… ou le shaman de l’esprit de raison ?).
Il y a par exemple à Toronto un « shamanic centre » qui propose aux curieux des expériences de dépersonnalisation assez simples : se promener dans la ville en prétendant être quelqu’un d’autre que celui que l’on est. (Des étapes ultérieures d’initiation sont plus coriaces, comme de passer quelques nuits seules dans la forêt du nord.)
La pensée de l’occident se heurte ainsi depuis longtemps au problème de l’identité, de l’autre et du même, ainsi que Pascal l’a illustré dans ce texte magnifique, son Discours sur la condition des grands. Plus récemment, le Notturno Indiano du regretté Antonio Tabucchi, ou bien au cinéma le Monsieur Klein de Josef Losey, remettent en question les illusions de l’identité, de la singularité et de la séparabilité de l’individu conscient.

Quant à moi je me suis d’abord rencontré au shamanisme à travers quelques petites manifestations voudouïsante en Guadeloupe ; il n’y est actuellement que peu présent, tout juste soupçonné dans les communautés d’immigrés haïtiens, mais les témoignages anciens des voyageurs et des habitants de l’île, à partir du moment où l’on y a apporté des esclaves d’Afrique de l’Ouest, affirmaient des cérémonies fréquentes et importantes. C’était l’époque — du XVIe au XVIIIe siècles — à travers laquelle se déployait mon Plantation Massa-Lanmaux, et du fait de mon exigence documentaire  j’ai dû entreprendre des lectures et approfondir ma connaissance des rituels vaudous caribbéens. Pourtant, que les lecteurs ne prennent pas mes différentes descriptions de cérémonies au pied de la lettre : je les ai syncrétisées, si l’on m’autorise le terme, avec des rituels, également animistes, de la Grèce ancienne ! En particulier les prières qui sont dites par le prêtre, « le vieux Candio », ne sont pas une langue africaine ou ésotérique, mais sont des prières conservées de l’antiquité grecque.
Lisant cela, les contempteurs de la « globalisation culturelle », du nouveau « gloubi-boulga planétaire », s’il en est parmi mes lecteurs, vont vouloir immédiatement monter sur leurs grands chevaux de frise : qu’ils sachent toutefois que je n’en ai pas procédé ainsi pour les irriter, ni pour illustrer une idéologie du « tout se vaut, tout se mélange », mais pour suggérer qu’il n’y avait pas loin, des nobles religions antiques de l’occident, aux rites des « sauvages » d’hier et d’aujourd’hui. (Même Socrate, Socrate le fondateur de notre radicalité discursive, aurait bien pu exercer des fonctions thaumaturgiques et shamaniques, au sein de sa cité : voir Le Secret de Socrate pour Changer la Vie, de François Roustang, chez Odile Jacob, et Socrate le Sorcier, de Nicolas Grimaldi, aux PUFs.) L’occident, en redécouvrant ces danses et ces transes, transportées dans les Antilles et les Brésils de la déportation, se mirait, sans le savoir, au miroir de ses origines, et ne les reconnaissait nullement (…croiser son double et ne pas le reconnaître… beau thème littéraire… appel vers une histoire à écrire…): les voyageurs et les « habitants », comme on appelait les colons antillais, ne voyaient dans le vaudou qu’une sorte de danse, à laquelle les esclaves se livraient avec une frénésie particulière, en accordant une étrange importance au sacrifice concomitant d’un poulet ou d’un autre animal ; de nos jours encore beaucoup pensent, en Europe et aux États-Unis, que le vaudou est une sorte de sorcellerie résiduelle, et sont surpris d’apprendre que les anthropologues et les fidèles le considèrent tout simplement comme une religion. Ultérieurement, le vaudou est devenu l’une des premières fixations identitaires des esclaves dépouillés de leur culture d’origine, et comme un ferment de résistance : Boukman, le premier chef rebelle haïtien, était un hougan, un prêtre vaudou, et c’est au cours d’une cérémonie qu’il a lancé la première révolte.

C’est donc l’importance de cette religion issue de l’Afrique de l’Ouest, pour mon sujet, qui m’a amené à m’intéresser au shamanisme. Mais aussi m’a t-il fallu réaliser que je ne pourrais pas écrire Plantation Massa-Lanmaux sans avoir recours moi-même à la transe — et que l’écrivain est toujours au moins un peu shaman… Dans l’immédiat, cet article commençant à dépasser les limites d’un billet de blog, je suspends, et poursuivrai prochainement ce fil de pensée.

Lien vers L’Écrivain Chaman II (cliquer)

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Que faire de Paul Celan ? Deux poèmes sublimes…

Que faire de Paul Celan ? La question n’a rien de rhétorique, elle s’impose à moi à chaque lecture, à plus d’un titre. D’abord, que faire de cet excés de beauté ? La sensation s’en tend comme un nerf, et je pèse mes maux. Malgré l’opposition de Jean Bollack (Poésie contre Poésie) à ce qu’il perçoit comme un alibi visant à ne pas éprouver les insuffisances de certaines théories sur un texte qui les démasquerait pour ce qu’elles sont — des théories —, malgré donc, il y a dans la poésie de Paul Celan une mise en tension du langage à la limite de la communication : langage éployé sur l’arc de la signification, jusqu’à ce qu’il nous échappe, ou qu’on ne sache plus ce qu’il nous dit, qu’on ne sache plus de quel monde il nous ramène ce qu’il nous dit, bien qu’il nous le dise. Martine Broda (Dans la Main de Personne) n’était pas la plus mal placée pour cet aveu d’incertitude.

Puis, pour un romancier, Paul Celan, c’est une mauvaise lecture ! Durant des années, j’avais nourri mon écriture de Plantation Massa-Lanmaux par la lecture de Saint-John Perse — et de bien d’autres, mais enfin la puissance langagière propre de Saint-John Perse, qu’on a beau jeu facile de caricaturer en emphase, prédominait. (car c’est je crois chez les poètes, et non chez les romanciers, qu’on trouve la recherche sur les atomes de la littérature, le mot, le rythme, le son ; au roman l’exploration des structures, du discours et des perceptions.) De Saint-John Perse j’ai retiré de fortes influences pour mon style, l’abandon au lyrisme, la rutilance du monde dans les inflexions du verset. Rien de tel chez Celan, mais une destruction des prestiges du langage, une mise-en-garde contre ses mensonges, et les âmes accusatrices des morts dans les larmes des mots. Comment écrire après Celan ?

EN BAS

Rapatrié dans l’oubli,
le dialogue convivial de nos
yeux lents.

Rapatrié syllabe après syllabe, réparti
sur les dés aveugles le jour, vers quoi
se tend la main du joueur, grande,
dans l’éveil.

Et le trop de mes paroles :
déposé sur le petit
cristal dans le fardeau de ton silence.

In  Grille de parole, Traduction Martine Broda

 

 

Tu es couché dans la grande ouïe

Tu es couché dans la grande ouïe,
embuissonné, enfloconné.

Va à la Spree, va à la Havel,
va aux crocs des bouchers,
aux rouges pals des pommes
de Suède* —

Vient la table avec les étrennes,
elle tourne autour d’un Éden —

L’homme, on en fit une passoire, la femme,
elle a dû nager, la cochonne,
pour elle, pour personne, pour tout —

Le canal de la Landwehr ne bruissera pas.
Rien

ne s’arrête

*Schw-eden, en Allemand

(Traduit et cité par Jean Bollack, dans son formidable Poésie contre Poésie)

En ce second poème, terrible mise-à-nu de la barbarie sanglante derrière les éléments traditionnels d’un noël Berlinois. L’homme et la femme, ce sont Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, assassinés, avant que le cadavre de « la femme » ne soit jeté dans la Spree. Extraordinaire condensation d’image, de sensation, de vision, dans les « rouges pals des pommes de Schw-Eden » : la pomme de la connaissance, la croix du christ, le sang, un pays de neige, l’eden, la chute… Tout cela sur l’étal d’un marché de noël… L’histoire vibre encore dans le présent faussement pacifié.

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