Archives de Tag: paul celan

Zürich, zum storchen : un poème de Paul Celan

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Nous avons parlé du Trop
et du Trop-peu. Du Toi
et du Non-toi, de
la clarté qui trouble, de
choses juives, de
ton Dieu.

De tout
cela.
Le jour de l’Ascension, la
Cathédrale était sur l’autre bord, avec de l’or
elle vint à nous marchant sur l’eau.

Nous avons parlé de ton Dieu, moi
contre lui, je
laissais le cœur que j’avais
espérer:
en sa suprême, enrâlée
parole de courroux —

Ton oeil me regarda, vit plus loin,
ta bouche
se dit à l’oeil : j’entendis :

Mais nous
ne savons pas, tu sais,
mais nous
ne savons pas
quoi
compte.

(traduction Martine Broda)

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JOUR DES MORTS, un poème de Paul Celan

Zao Wou Ki

Zao Wou Ki

Qu’est-ce que j’ai
fait ?
Ensemencé la nuit, comme s’il pouvait
y en avoir d’autres, plus nocturnes
que celle-ci.

Vol d’oiseau, vol de pierres, mille
Voies décrites. Des regards,
cueillis et ravis. La mer

goûtée, entièrement bue et rêvée. Une heure,
assombrie d’âmes. La suivante, lumière automnale,
offerte à un sentiment
aveugle, qui allait son chemin. D’autres, beaucoup d’autres,
sans lieu, avec leur propre pesanteur : aperçues, contournées,Des blocs erratiques, des étoiles,
noirs et plein de langage : nommés
d’un serment tu jusqu’à le rompre.

Et une fois (quand ? cela aussi est oublié) :
éprouvé le harpon,
là où le pouls osait la syncope.

Paul Celan, « Jour des morts », in Grille de Parole, Trad. Martine Broda
(…à lire au creux de la corolle de la nuit…)

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Grille de Parole

Le poème le plus triste, peut-être, qui fût jamais écrit… Ces yeux, rendus indépendants, animaux : les deux yeux d’un seul, ou les yeux de deux consciences aimées, aimantes ? Qui se résolvent en larmes, sur ces dalles de tombeau ? d’église ? de cénotaphe ? La bobèche fume, mais pour qui ? La bobèche du veilleur, ou celle de l’autel ? Présence, absence… Le monde échappe dans l’alambic du poème, dans la fumée de l’alambic, dans la fumée des êtres annihilés…

GRILLE DE PAROLE

Rond d’oeil entre les barreaux.

Paupière, animal cilié,
rame vers le haut,
libère un regard.

Iris, nageuse, sans rêve et triste,
le ciel, gris-coeur, doit être proche.

Oblique, dans la bobèche de fer,
la mèche qui fume.
Au sens de la lumière
tu devines l´âme.

(Si j´étais comme toi. Si tu étais comme moi.
N´étions-nous pas debout sous
un même alizé ?
Nous sommes des étrangers. )

Les dalles. Dessus,
serrées l´une contre l´autre, les deux
flaques gris-coeur :
deux
bouchées de silence.

Paul Celan
Traduction Martine Broda

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Au coeur des ténèbres françaises : la Mission Voulet-Chanoine, 1899

Déjà, au cours de mes recherches pour La Bibliothèque des Sables, il m’était advenu une première fois, avec étonnement, de croiser la route mémorielle sinistre et romantique de la Mission Voulet-Chanoine. Je maintiens l’adjectif « romantique » par honnêteté pour les émotions induites, à cette époque pas trop lointaine, par cette première découverte; il m’en coûte de conserver maintenant ce terme, après qu’un autre hasard a porté à ma connaissance le passionnant entretien que Chantal Ahounou, auteure d’un livre sur la question, a accordé au site Dormira Jamais.

Je rappelle brièvement les faits, décrits plus en détail dans l’entretien de Chantal Ahounou : en 1899, pour faire pièce à l’expansion anglaise en Afrique et compenser l’échec final de la Mission Marchand à Fachoda, le ministère français des colonies décide la conquête du Tchad, et pour ce faire l’envoi d’une expédition dirigée par les capitaines Paul Voulet et Julien Chanoine. Rapidement devenus berserks, les deux capitaines se livrent  à des massacres, en particulier la destruction totale d’une ville de 10000 habitants, qui créent le scandale jusqu’à Paris. Une colonne est envoyée pour les rappeler, dirigée par le colonel Klobb : au contact des deux expéditions, Voulet brûle ses vaisseaux en ordonnant le feu contre ses compatriotes et son supérieur : le colonel Klobb est tué. Quelques jours plus tard, c’est au tour de Voulet et Chanoine d’être exécutés par leurs hommes. La mission se poursuit sous un nouveau commandement.

Cette série de drames est oubliée jusqu’en 1976, et la parution du livre de Jacques-Francis Rolland, Le grand capitaine, Un aventurier inconnu de l’épopée coloniale. Mais même alors, fait remarquer Chantal Ahounou, c’est le romantisme colonial qui domine encore la perception et l’interprétation : »le Capitaine Voulet est perçu comme un personnage romantique. C’est un héros ou anti-héros qui part à la conquête d’un espace inconnu et hostile. Il représente la figure coloniale de l’aventurier qui laisse tout derrière lui ». Chantal Ahounou développe aussi le point de vue suivant : le scandale causé par la mission Voulet-Chanoine, c’est en quelque sorte le scandale du scandale, car sinon, ses exactions ne se distinguaient que par leur caractère arbitraire et leur intensité, des méthodes habituelles de la conquête coloniale. (Qu’on pense seulement aux 15 000 victimes au moins, de la répression de la révolte malgache, en 1947, ou aux massacres d’Algérie, ou à ceux des tirailleurs de Thiaroye, ou plus récemment à la tuerie de Pointe-à-Pitre en 1967).

Sur ces deux points qui appartiennent en propre à l’historienne, je laisse le lecteur migrer vers son entretien. Je voulais quant à moi ajouter une réflexion personnelle née du croisement — pas tout à fait aussi fortuit que celui de la machine à coudre et du parapluie sur la table de dissection — du croisement avec mes lectures Celaniennes. Paul Celan dénonce les immenses falsifications, et aussi les crimes illocutoires dont le langage peut se rendre coupable, à coups d’emportements et de déportements, d’habillages romantiques, de mises en transe : illocutions susceptibles de conduire toute une nation au crime (voir Todesfuge, ici en Français, ou ici lue par le poète en Allemand). Il me semble en effet que l’on trouve dans la persistance de l’épisme colonial en France un bel exemple de ces enrubannements de prestige, de cette romanticisation des vérités les plus sordides ou les plus cruelles, dont est susceptible la littérature.  (Et pourtant, et pourtant, me souffle mon démon, toujours prompt à se laisser séduire par les appels de langue putanesques du Style, et pourtant l’épisme toujours a su sourdre des éventrations et fumer des bûchers, nulles Lumières n’extirperont Dionysos du Discours)

Post scriptum de juin 2013 : j’ai depuis écrit une pièce, à la fois burlesque et tragique, à partir de ces événements  ; elle est en attente d’un éditeur ou d’un metteur-en-scène, les bonnes volontés sont bienvenues.

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Que faire de Paul Celan ? Deux poèmes sublimes…

Que faire de Paul Celan ? La question n’a rien de rhétorique, elle s’impose à moi à chaque lecture, à plus d’un titre. D’abord, que faire de cet excés de beauté ? La sensation s’en tend comme un nerf, et je pèse mes maux. Malgré l’opposition de Jean Bollack (Poésie contre Poésie) à ce qu’il perçoit comme un alibi visant à ne pas éprouver les insuffisances de certaines théories sur un texte qui les démasquerait pour ce qu’elles sont — des théories —, malgré donc, il y a dans la poésie de Paul Celan une mise en tension du langage à la limite de la communication : langage éployé sur l’arc de la signification, jusqu’à ce qu’il nous échappe, ou qu’on ne sache plus ce qu’il nous dit, qu’on ne sache plus de quel monde il nous ramène ce qu’il nous dit, bien qu’il nous le dise. Martine Broda (Dans la Main de Personne) n’était pas la plus mal placée pour cet aveu d’incertitude.

Puis, pour un romancier, Paul Celan, c’est une mauvaise lecture ! Durant des années, j’avais nourri mon écriture de Plantation Massa-Lanmaux par la lecture de Saint-John Perse — et de bien d’autres, mais enfin la puissance langagière propre de Saint-John Perse, qu’on a beau jeu facile de caricaturer en emphase, prédominait. (car c’est je crois chez les poètes, et non chez les romanciers, qu’on trouve la recherche sur les atomes de la littérature, le mot, le rythme, le son ; au roman l’exploration des structures, du discours et des perceptions.) De Saint-John Perse j’ai retiré de fortes influences pour mon style, l’abandon au lyrisme, la rutilance du monde dans les inflexions du verset. Rien de tel chez Celan, mais une destruction des prestiges du langage, une mise-en-garde contre ses mensonges, et les âmes accusatrices des morts dans les larmes des mots. Comment écrire après Celan ?

EN BAS

Rapatrié dans l’oubli,
le dialogue convivial de nos
yeux lents.

Rapatrié syllabe après syllabe, réparti
sur les dés aveugles le jour, vers quoi
se tend la main du joueur, grande,
dans l’éveil.

Et le trop de mes paroles :
déposé sur le petit
cristal dans le fardeau de ton silence.

In  Grille de parole, Traduction Martine Broda

 

 

Tu es couché dans la grande ouïe

Tu es couché dans la grande ouïe,
embuissonné, enfloconné.

Va à la Spree, va à la Havel,
va aux crocs des bouchers,
aux rouges pals des pommes
de Suède* —

Vient la table avec les étrennes,
elle tourne autour d’un Éden —

L’homme, on en fit une passoire, la femme,
elle a dû nager, la cochonne,
pour elle, pour personne, pour tout —

Le canal de la Landwehr ne bruissera pas.
Rien

ne s’arrête

*Schw-eden, en Allemand

(Traduit et cité par Jean Bollack, dans son formidable Poésie contre Poésie)

En ce second poème, terrible mise-à-nu de la barbarie sanglante derrière les éléments traditionnels d’un noël Berlinois. L’homme et la femme, ce sont Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, assassinés, avant que le cadavre de « la femme » ne soit jeté dans la Spree. Extraordinaire condensation d’image, de sensation, de vision, dans les « rouges pals des pommes de Schw-Eden » : la pomme de la connaissance, la croix du christ, le sang, un pays de neige, l’eden, la chute… Tout cela sur l’étal d’un marché de noël… L’histoire vibre encore dans le présent faussement pacifié.

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À l’attention des poètes romantiques…

…cette belle page de Jean Bollack, au sujet de la relation entre Paul Celan et Ingeborg Bachmann. On peut y déceler l’emprise de rôles bien définis : à l’homme la haute proposition métaphysique, à la femme le sacrifice de soi et le service de son Érec dans ses aventures supra-humaines… Mais ne boudons pas notre plaisir et notre émotion.

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