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Sade/attaquer le soleil à Orsay : cachez ce phallus (et ces livres) que je ne saurais voir !

Affiche-SadeSi l’oeuvre du divin marquis est un constant effort de transgression, une rage de destruction des valeurs et des bienséances, une brûlante intempérance de langage associée à une grammaire glaciale, une irrémissible cataclysmique orgie de sens et de mots, en revanche l’impression principale produite par l’expo d’Orsay sur son visiteur est celle de la frustration. Quelle occasion manquée ! Car de littérature il n’est pas question : mais de psychologie, d’histoire, d’iconographie sans guère de lien, avec l’oeuvre de l’auteur… Bref quelques citations agrémentées des bonnes femmes à poil… Et c’est là que la bât blesse, pour une part : car le bas, justement, chez Sade, n’est pas uniquement féminin ! Dans ses livres, que de fiers braquemarts ! D’érigées colonnes ! De gitons, de valets fouteurs, de bardaches ! D’enculades ! Quel extraordinaire puritanisme, quel machisme, ont pu faire qu’une exposition entière consacrée à Sade nous laisse sans une bite à nous mettre sous la dent, si je puis me permettre ce mauvais jeu de mots ? Et par ailleurs, pardon ! mais Sade appartient à la littérature ! Or de littérature, il n’en est pas question, ni de son style (dont les origines sont à cheval entre le roman à épisodes du XVIIIè et la prose philosophique radicalement matérialiste de d’Holbach). Quant à sa postérité, on croirait qu’elle se limitât à Annie le Brun (dont on apprécie la plasticité des commentaires bien qu’on les connût par coeur et qu’ils n’allassent pas plus loin que la pâmoison étonnée) et à Georges Bataille. Sans même mentionner mon propre roman Sadien, pas un mot sur la magnifique biographie de Sade par Maurice Lever, le vrai spécialiste du libertinage !  pas une référence aux romans(?) de Pierre Guyotat, parmi les plus importants des 50 dernières années ! ni, puisque l’on voulait parler d’Histoire, au livre d’Éric Marty sur la réception de Sade après guerre ! Une visite à la librairie du musée est à l’avenant. Ce démembrement thématique de l’oeuvre pour la répartir entre histoire, psychologie et art, nous paraît à l’image de l’actuelle occultation que l’on fait en France de la littérature comme travail du langage, comme style ; occultation — voire refoulement — voire simplification — qui a pour effet de nous donner la tépide production littéraire que l’on sait, et l’anéantissement plus particulier de la poésie.

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Pierre Guyotat, Éden, Eden, Eden : extraits

Oui, Éden est toujours choquant. À l’époque, en 1970, alors qu’étaient encore vives les blessures de la Guerre d’Algérie, les trois préfaces de MM.Barthes, Leris et Solllers ne purent empêcher l’interdiction du texte — interdiction qui ne fut levée qu’en 1981.
Quant à moi je le relis ces jours-ci, avec une admiration renouvelée et peut-être même accrue, depuis ma première lecture d’il y a une dizaine d’années. Admiration pour le lyrisme, la vibration des matières, des corps et du langage ; admiration pour l’attention à tous les détails naturels — au sens de « sciences naturelles » — à tous les débordements et les excrétions, les sécrétions, les exécrations de la vie… À ce vaste chant pornographique et meurtrier, orgiaque et cruel, Sadien, participent non seulement les hommes et les femmes, mais les enfants, mais les animaux domestiques, mais la poussière minérale des chemins, les oiseaux, la lumière, les éléments… Tous conjoints pour un flot poétique et surréaliste, de foutre, de sang, de salive et de sperme, de désir cosmique… Amour et Haine, les grands mythes grecs, Empédocléens, ne sont pas loin.

Extraits :

« — au bas du Ferkous, sous l’éperon chargé de cèdres calcinés, orge, blé, ruchers, tombes, buvette, école, gaddous, figuiers, mechtas, murets tapissés d’écoulements de cervelle, vergers rubescents, palmiers, dilatés par le feu, éclatent : fleurs, pollen, épis, brins, papiers, étoffes maculées de lait, de merde, de sang, écorces, plumes, soulevés, ondulent, rejetés de brasier à brasier par le vent qui arrache le feu, de terre ; les soldats assoupis se redressent, hument les pans de la bâche, appuient leurs joues marquées de pleurs séchés contre les ridelles surchauffées, frottent leur sexe aux pneus empoussiérés ; creusant leurs joues, salivent sur le bois peint… »

« /le mirador surplombe la palmeraie calcinée ; la sentinelle peuhl, iris jaune glissant sur le globe bleu, laine crânienne ensuée, bascule le projecteur : le faisceau fouaille les chairs ensuées des soldats arc-boutés sur la femme ; la sentinelle broie son membre dans son poing, tourne le projecteur : le faisceau traverse le lit asséché de l’oued, saisit une vibration, sous le zéphir, des lauriers-roses empoussiérés : une troupe de chacals y déchire une charogne d’âne […] ; la sentinelle roule le projecteur sur le châssis, le faisceau arde les seins qui palpitent, pubescents, semés de sucre sous les pans encrassés du treillis […] ; la sentinelle, du poing, fait pivoter le projecteur vers la stratosphère… »

« …sous le surplomb du roc, les soldats soufflent sur un feu de branches dressé sur la bouche ouverte d’une femme morte […] ; je frotte ma poitrine à la toison de son sexe, une alouette y est prise ; à son cri, chaque fois que ma poitrine pèse sur le corps, jaillissent des larmes sur mes yeux ; un sang chaud ruisselle hors de mes oreilles ; la pluie d’excréments éclabousse le rocher ; les sangs, dans la vasque, brûlent, bouillonnent ; un jeune rebelle, ses pieds nus enduits de poudre d’onyx, ses lèvres de farine, sort de terre, se penche sur la vasque, plonge sa tête, ses poings […]; au camp, les femmes pèsent sur les barrières, le sexe des soldats se tend vers leurs mères, venues de métropole, sur ordre de l’État-major, pour les Fêtes du Servage ; ma mère, je l’emporte dans ma chambrée de bambou, je la couche sur la litière de paille empoisonnée ; tête, épaules plongées sous sa robe, je mange les fruits, les beignets d’antilope sur son sexe tanné tandis qu’elle, fatiguée par le voyage en cale, en benne, s’endort ; à l’aurore, elle s’est échappée de dessous mon corps ; étreinte par les soldats sous le mirador où je veille éjaculant, leurs genoux la renversent sur le sable… »

Post-scriptum: une catégorie manque à ce chant panthéiste, qui est celle de l’agir conscient, donc des sujets, de l’intelligence… À moins que l’intelligence, le langage, le verbe qui anime et porte ce monde, n’en soit considéré aussi comme le protagoniste…? YG

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Rien n’a jamais commencé…

…si ce n’est peut-être une fois, il y a 13 milliards d’années… Pour ce blog 0, le plus honnête, mais aussi le plus fastidieux, serait d’évoquer tous ceux qui m’ont fait : amis, livres, influences, rencontres intellectuelles… Comme l’empereur Marc-Aurèle, admirablement, au début de ses « Pensées ». Une vie se passe à essayer de se sursoir, mais à la fin nous ne sommes qu’une lettre dans la phrase infinie.

Je citerai seulement les noms de Saint-John Perse, de Pierre Guyotat, de Pierre Michon, comme ceux des modernes qui m’ont montré que vouloir consacrer le langage n’était pas un projet caduque.

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