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LE SANG DU CIEL, de Piotr Rawicz (article de Claire Laloyaux)

« Il marchait par les champs, songeur, lançant bien haut sa canne, d’un pas de somnambule, en suivant son étoile qui avait complètement disparu dans les tournesols, et il ne la retrouvait qu’au bout du champ, sur sa redingote noire défraîchie. » (Danilo Kis, cité par Claire Laloyaux)

Il y a quelques temps, j’écoutais avec fascination — admiration ! effroi ! — l’adaptation radiophonique, par France Culture, d’un livre totalement inconnu de moi, écrit par un Franco-Polonais rescapé d’Auschwitz, Piotr Rawicz : Le Sang du Ciel. Un livre terrible, désespéré et drôle, échafaudant au bord du brasier les fragiles contentions de l’humour absurde. Le style, à ce qu’il me semble par les épisodes adaptés sur France Culture (je ne l’ai pas encore lu !) est très influencé par les échappées et les percées libératoires du surréalisme. J’ai voulu en savoir plus et il s’est trouvé qu’une sympathique correspondante, Claire Laloyaux, avait travaillé sur Rawicz. Elle a bien voulu que je publie sur ce blog l’article qui suit, pour mon instruction et celle de tous ceux qui comme moi seraient passés à côté du Sang du Ciel.

Le roman de Piotr Rawicz, Le Sang du ciel, fait partie de ces romans sur la catastrophe juive dont l’esthétique monstrueuse met mal à l’aise autant qu’elle fascine. Largement acclamé par la critique littéraire française, anglo-saxonne et israélienne lors de sa parution chez Gallimard en 1961, le roman de Rawicz connaîtra cependant une longue éclipse jusqu’à sa réédition en 2011 aux éditions Suicide Season. La personnalité sulfureuse de son auteur[1] et son livre, déroutant par sa tonalité et par l’ambiguïté de son personnage principal, Boris, expliquent peut-être cet injuste oubli.

Né en 1919 à Lwow, Piotr Rawicz étudie le droit et les langues orientales dans l’université de sa ville natale, là où il rencontrera sa future femme, Anka. Déjà polyglotte avant la guerre –il parlait le polonais, l’ukrainien, le chochlis, le russe et l’allemand-  du fait de l’extraordinaire richesse linguistique de la Mitteleuropa, il apprendra encore d’autres langues sur le tard comme le français, l’anglais, le sanskrit, l’hindi, le yiddish et l’hébreu. Loin d’être anecdotique, ce don des langues semble annoncer sa maîtrise étonnante du français dans Le sang du ciel ainsi que le personnage de Boris, double fictif de Rawicz, qui sauvera sa peau grâce à sa parfaite connaissance  de l’ukrainien. En 1941 Rawicz s’enfuit de Lwow pour la Pologne où il est arrêté et torturé par la Gestapo. Soucieux de cacher ses origines juives par divers stratagèmes, Rawicz est finalement déporté en 1942 à Auschwitz en tant que « prisonnier politique ukrainien ». Comme Boris, il explique sa circoncision par une opération chirurgicale tardive et il est lui aussi interrogé par un ukrainien dans le camp afin de prouver sa nationalité ukrainienne. Jusqu’en 1945 Rawicz survivra aux camps d’Auschwitz et de Leitmeritz près de Theresienstadt. En 1945 il retourne en Pologne où il devient journaliste et poète. Puis il part avec Anka pour la France en 1947 où ils poursuivent tous deux leurs études. Grâce à ses connaissances linguistiques, Rawicz devient correspondant diplomatique et est chargé pour le journal « Le Monde » de commenter des auteurs d’Europe Centrale et Orientale. Coureur de jupons et personnage fantasque, Rawicz menait dans la capitale une vie de bohême. Après la parution du Sang du ciel en 1961 qui reçoit l’année suivante le Prix Rivarol récompensant la meilleure œuvre de langue française écrite par un auteur d’origine étrangère, il sort son deuxième et dernier livre, Bloc-notes d’un contre-révolutionnaire ou la gueule de bois en 1969 juste après les événements de 1968, férocement critiqués par Rawicz. Toujours animé d’une foi religieuse malgré ses écarts de conduite, Rawicz se suicide en 1982 peu de temps après la mort d’Anka, qui souffrait d’un cancer.

Le Sang du ciel est composé de 3 parties aux titres déjà provocateurs : « La queue et l’art de comparer », « Le voyage », « La queue et l’échec aux comparaisons ». Le roman raconte dans la première partie la vie dans un ghetto qui rappelle beaucoup la réalité de celui de Varsovie (sans que pourtant des noms de lieux soient précisés). On assiste progressivement à la disparition de ce ghetto par les massacres, commis par les Einsatzgruppen, et par les nombreuses délations motivées par l’appât du gain. Léon L., directeur du Judenrat, domine les souvenirs du narrateur Boris : grand ami de celui-ci, Léon tente de maintenir coûte que coûte la vie dans le ghetto, mais est finalement assassiné par les nazis. Le quotidien des Juifs est fait de cachettes, de fuites et de la recherche d’un emploi stable qui les empêcherait d’être déportés. Ainsi, Noëmi, compagne de Boris, travaille pour un temps dans l’Atelier Garine jusqu’à ce que les employés de cet atelier soient eux-mêmes menacés par les autorités. On retient de cette première partie la vie dans un ghetto au profond délitement moral et à l’air vicié par les assassinats et les trahisons. Même l’hôpital finit par être envahi par les nazis et y périssent au sous-sol, de la façon la plus barbare qui soit, un groupe d’enfants et leurs trois accompagnatrices, dont l’une est sauvagement violée. Rawicz ne nous épargne pas les détails du massacre : un garçon a la langue coupée parce qu’il parlait trop et a osé tirer la langue à un officier ; une fille aux yeux comme des diamants a les yeux crevés et arrachés de leurs orbites. La langue de Rawicz très imagée, bien qu’elle hésite constamment entre « l’art de comparer » et la haine de la littérature, en devient même poétique dans son esthétisation de la violence :

« Ça glissait. Ça dégoulinait. Des cris stridents remplissaient la pièce comme autant de petits animaux affolés. Des bâillements, des sons vagues, des bruits monstres et bâtards. Des déchirements de sens et de peaux. Des figures géométriques, toutes les géométries qui entraient en folie comme on entre dans un bain chaud. Quelqu’un qui dit : « La géométrie, cette preuve irréfutable que Dieu est fou, fou à lier… » Le ventre de l’Univers, le ventre de l’Etre était ouvert et ses tripes immondes envahissaient la pièce. Les dimensions, les catégories de la conscience, temps, espace, douleur, vide, astronomies se livraient à une mascarade ou à un combat, à une noce ou à une chevauchée et la chair des rêves s’étalait sur le siège de Dieu, évanoui, couché sur le ciment dans Ses propres vomissures.

La femme tranquille, la seule qui au début ne semblait pas croire à la vertu magique des documents officiels fut couchée et empalée. La masse immense du viol, fleur multicolore et exotique, s’épanouit dans la pièce. Ce qui peut être nommé restait modeste, gris, bassement soumis à la raison, à côté de l’innommable. La masse du viol s’écoulait entre les jambes écartées de la femme sans qu’elle profère un son. Une pantomime. Comme des statues blessées –songeait Boris que l’aimable caporal invitait à prendre part à la réjouissance commune. Boris ne dit pas s’il déclina l’invitation. A un moment donné, il sentit chez le bienveillant caporal quelque chose comme une menace voilée. Comme qui dirait : Le Monsieur ne daigne pas participer aux viriles réjouissances populaires. Ceci pourrait coûter à Monsieur. »

Boris tente alors de s’adapter à cette vie faite de traques en affichant un cynisme qui le fait parfois dangereusement basculer du côté des assassins. Pourtant, malgré son apparence physique qui semble le protéger de tout soupçon (grand blond à l’allure désinvolte), la menace pèse sur lui et sa compagne, et tous deux décident de fuir le ghetto.

La seconde partie décrit ainsi les pérégrinations des deux personnages dans une Pologne hostile aux Juifs et prête à tout pour récolter les faveurs des nazis. Boris et Noëmi manquent plusieurs fois d’être dénoncés. Seule la légèreté feinte de Boris leur permet d’échapper à la mort ou à la déportation. Un des épisodes les plus marquants de ce « voyage » est sans doute celui de la conversation entre Boris et un gradé SS dans une cabane près d’un camp de travail. Attiré par des têtes de choux dans un jardin, Boris comprend avec horreur que ce sont en réalité des têtes humaines que dévorent les cochons et sur lesquelles urinent les soldats. Le malaise progressif de Boris et son voyeurisme qui le fait regarder l’extérieur par la fenêtre sont également ceux du lecteur, longtemps hanté par la transformation d’un légume en tête humaine. Même médiatisée par la fenêtre, l’horreur passe par la position ambiguë de Boris, auquel le lecteur ne peut que s’identifier bon gré mal gré, et par la lourde atmosphère qui règne dans la cabane où discutent avec un brin d’appréhension Boris et Noëmi, toujours angoissés à l’idée d’être découverts. Ce qui pourrait les attendre n’est qu’à quelques mètres d’eux, par-delà cette fenêtre. Boris nous raconte avec un certain sens du suspense sa découverte progressive :

« Par un effort difficile et conscient, je me levai de mon siège en écartant la main de l’officier qui cherchait encore à me retenir. Je touchais de mon front ardent la vitre froide de la fenêtre donnant sur la cour. Et brusquement, comme un fouet de cirque, un réflecteur éclaira le décor. Le paysage minuscule et lunaire frappa mes tempes comme une massue. Je freinai une brusque envie de vomir. Ce n’étaient point des têtes de choux qu’étaient en train de lécher et de manger les porcs. Cinq hommes étaient enterrés debout dans le petit jardinet adjacent à la cantine. Leurs têtes salies, couvertes de poussière humide et de choses innommables, leurs têtes à moitié dévorées sortaient du sol telles de géants champignons. Une de ces têtes aux orbites vides venait d’effectuer un mouvement circulaire, nettement perceptible. »

Il est difficile de ne pas rester insensible dans le texte de Rawicz à l’omniprésence du corps et à un érotisme diffus au cœur même de l’horreur, sans que le texte verse pour autant dans le kitsch. Comparer ce roman à d’autres textes sulfureux où l’érotisation des corps n’évite pas les détails scabreux (ainsi des Bienveillantes de Littell) risquerait pourtant d’éluder et l’étonnante psychologie de Boris et la portée tant métaphysique que religieuse contenue dans la sexualité du roman. Ce seul passage, au début du roman, suffit à résumer ces deux dimensions tout en annonçant, par l’image du léchage des « vertes pommes » que sont les seins des jeunes filles, ce qu’il adviendra des « têtes de choux » :

« Il y avait des jeunes filles proprettes dont les hanches et les seins commençaient à s’arrondir. De vertes pommes qu’on s’apprêtait à cueillir. La jalousie m’a saisi de leur fin, de la flamme qui à ma place devait lécher à mort ces seins et ces hanches. Une jalousie plus forte que celle que je portais à leurs vies… De toutes ces filles en forger une seule, ôter un à un les voiles et les couvertures, boire le jus aigre ; le boire jusqu’à la lie… La pensée était pour sûr plus enivrante que le « Dépucelage d’Astéroth » -poème que j’écrivais ou plutôt que je n’écrivais plus depuis des années… C’était donc ça, la trouvaille : ces filles de ma jeunesse allaient devenir sur-le-champ aussi anciennes qu’Astéroth et aussi divines. La Grande Concavité qui allait les engloutir ne serait-elle pas aussi cachée aux mortels que la demeure de la Déesse ?« 

Nourri de poésie et de mythologie cosmique, le texte trouve sa puissance dans une érotisation des textes religieux, et en particulier de la Kabbale, dont le contenu mystique et messianique se prête bien à l’atmosphère du roman. Rawicz ne fait pas seulement appel à son imagination luxuriante, mais transpose encore la judéité problématique de ses personnages dans l’univers de la fable, voire de la mystification et du mensonge. Le monde du roman et celui de la Kabbale, que n’ignorent sans doute pas les habitants du ghetto, s’organisent ainsi autour de catégories sexuelles permettant étrangement que la vie, au plus près de l’extermination et de l’apocalypse, retrouve sa vigueur. Ce très beau passage, entre la désolation de la Catastrophe déjà en cours et l’appétit de vivre passant par l’exploration des chairs éprouvées par le pourrissement, illustre pleinement cette tension à l’œuvre dans le roman :

« La famine mortelle et la mort hantaient nos yeux. Au milieu de la rue on heurtait du pied des cadavres recouverts de vieux journaux. Les processus élémentaires, le pourrissement, la combustion, la transformation des sèves vivantes en liquides morts accaparaient nos sens. La cohabitation fraternelle avec les rats, les poux et les punaises ouvraient nos yeux à la nature universelle du grouillement –cette destinée commune et peu glorieuse de la matière vivante. La proximité du feu et de la pourriture qui avalaient déjà notre peuple, nous faisait plus directement participer au souffle de l’univers. Et puis, en cette période de siège, nous autres qui n’avions pas encore faim, nous avons fait l’amour comme des possédés. Chaque nouvelle journée était un dépucelage dans les chairs cachées du temps qui s’apprêtait à nous engloutir. »

La troisième partie enfin, est beaucoup plus centrée sur Boris, finalement arrêté par hasard. Il connaît des compagnons de cellule brutalement hostiles à sa judéité, mais aussi la torture et la confrontation avec des officiers déterminés à prouver qu’il mérite de mourir. Boris apparaît dans cette troisième partie beaucoup moins railleur et sûr de lui. Affaibli par les mauvais traitements et l’humiliation, il n’est pourtant pas prêt à céder à l’ennemi. Grâce à sa maîtrise parfaite de l’ukrainien et à ses talents rhétoriques, il parvient à prouver à un intellectuel ukrainien et à son bourreau qu’il n’est pas d’origine polonaise mais bien ukrainien. La dernière étape pour survivre est de prouver que sa circoncision n’est pas rituelle mais chirurgicale. Un médecin puis des chirurgiens se laissent convaincre que Boris n’est pas juif, mais qu’il a attrapé plus tard une maladie vénérienne, ce qui expliquerait cette circoncision prétendument tardive. Boris est libéré et retrouve sa vie de fugitif, mais, comme nous l’apprend le narrateur surplombant l’histoire, il sera ensuite déporté à Birkenau. La venue de Boris en France après la guerre indique qu’il a, comme Rawicz, survécu au camp et pu transmettre son expérience à un écrivain professionnel qui nous raconte et réécrit cette histoire. L’emboîtement de l’histoire de Boris racontée par un écrivain professionnel qui l’a en partie réécrite pour ensuite la raconter à un tiers dans un café parisien achève de brouiller les certitudes sur le destin de Boris. Participant d’une esthétique de l’affabulation, plutôt que du mensonge, le roman joue constamment avec les strates d’une vérité qui peine à devenir formulable tant les personnages et les narrateurs ont joué avec toutes les ressources du langage et du genre romanesque. Perdu entre un lointain réel historique[2] dont le roman n’est qu’un reflet imparfait et déformant, comme en atteste la postface parodique :

Ce livre n’est pas un document historique.

Si la notion de hasard (comme la plupart des notions) ne paraissait pas absurde à l’auteur, il dirait volontiers que toute référence à une époque, un territoire ou une ethnie déterminés est fortuite.

Les événements relatés pourraient surgir en tout lieu et en tout temps dans l’âme de n’importe quel homme, planète, minéral…

et la vérité de la Catastrophe intériorisée à l’extrême par le témoin Boris puis filtrée par les narrateurs successifs, Le Sang du ciel est plus qu’une œuvre de témoignage, même de fiction. Débordant l’esthétique de la modernité avec laquelle il s’écrit en multipliant les collages de textes aux genres et tonalités disparates, le roman frappe par son ingéniosité à poser de manière tant critique que poétique l’intégration de la violence génocidaire dans la littérature. Les renoncements du poète aux « procédés », qui ne sont pas autre chose que la plus puissante poésie, puis l’affection indéfectible que  Boris leur porte malgré toute leur « saleté » signifient certes que la littérature a elle aussi les mains sales comme l’écrivain-fossoyeur :

« Le « procédé littéraire » est une saleté par définition. Il l’est davantage de par ses éléments constitutifs : le procédé, le procédé, cette notion est comme un parcours quotidiennement rabâché, entre son bureau et son domicile, par un fonctionnaire souffrant d’hémorroïdes. »

Mais « la littérature : l’anti-dignité érigée en système, en une seule règle de conduite », cet « art, parfois rétribué, de fouiller dans les vomissures » apparaît pour le témoin comme le seul cénotaphe pour les disparus. En effet, les victimes, aussi énigmatiques que les vivants, aussi indéchiffrables que ce texte-testament, ne se rappellent à notre souvenir que par ces quelques traces de leur passé, redessinées en formes grâce aux mots, et par-delà le cimetière en ruines n’accueillant plus leurs sépultures :

« Après avoir regardé la mort des hommes, je me suis heurté, en sortant, à la mort des pierres. »

Dans l’allée centrale, sous la surveillance d’une sentinelle gris-vert, une douzaine de pantins desséchés agitaient leurs propres os et de lourds marteaux. Un autre groupe traînait des brouettes. On cassait de vieilles pierres tombales. Sous les coups de maillet, sourds et aveugles, s’éparpillaient les caractères sacrés des inscriptions vieilles d’un demi-millénaire, à la louange de quelque saint ou quelque philosophe. Un aleph s’en allait vers la gauche, tandis qu’un hei sculpté sur un autre morceau de pierre retombait vers la droite. Un guimmel épousait la poussière et un noun le suivait dans sa chute… Plusieurs shin, lettre qui symbolise l’aide miraculeuse de Dieu, venaient d’être écrasés et piétinés sous les marteaux et sous les pieds de ces ouvriers moribonds.

Oui, comme l’écrit en toutes lettres le cynique Boris, « navigare necesse est : il FAUT écrire ». Le magnifique conteur Danilo Kiš, dont la nouvelle « Youri Goletz » est un hommage explicite à Rawicz, dira ainsi dans un texte autobiographique, Jardin, cendre, en même temps que le deuil du père disparu pendant la guerre, son émouvant souvenir dans une langue où la métaphore atteste pudiquement de la présence de l’humain par-delà le destin imposé aux individus :

« Il marchait par les champs, songeur, lançant bien haut sa canne, d’un pas de somnambule, en suivant son étoile qui avait complètement disparu dans les tournesols, et il ne la retrouvait qu’au bout du champ, sur sa redingote noire défraîchie. »


[1] Pour mieux comprendre la provocation teintée de mélancolie de Rawicz, qui a même pu indisposer d’autres survivants, comme la très émouvante Anna Langfus, on dispose d’un rare entretien qui donne beaucoup à penser : http://biblioteka.teatrnn.pl/dlibra/Content/9897/rawicz_fr.pdf.

[2] Ainsi de cette allusion aux procès de Nuremberg glissée en note de bas de page comme si l’histoire et la justice étaient secondaires et ne pouvaient rendre un nom au peuple disparu : « Plus tard, beaucoup plus tard, dit mon client [Boris], quand la guerre fit place à l’accalmie factice de la terre, j’ai un peu réfléchi à la signification de la minute que je viens de vous conter [Boris évoque la mort de Léon L.]. En tirant son coup de revolver, l’ennemi croyait accomplir une besogne relativement banale, annihiler une cellule de plus parmi les millions de cellules de l’organisme qu’il s’apprêtait à tuer. Mais sans le savoir, il avait visé juste, il avait visé juste, il avait visé au cœur du danger. Lorsque après des années, dans une des villes antiques de l’ennemi, on essaya de prononcer un jugement sur les avatars de l’époque, les voix de bien des peuples pliés naguère à la domination du vaincu se firent entendre. Avant d’aller à la potence les accusés eurent à subir, de leurs bancs, les réquisitoires émanant de ces peuples blessés. On parla aussi –bien sûr- du laboratoire par lequel nous fûmes passés, nous autres, membres du peuple assassiné. Mais de cette salle solennelle, notre peuple était absent. »

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EN-TETE DU MOMENT : DÉTAIL D’UN TABLEAU DU PEINTRE ALEXANDRE SUZANA

Alexandre Suzana :  »

« Je suis un Homme déchu. Un atome perdu dans les limbes de la Vie en quête d’existence, de sens. Si mes médiums sont la peinture ou bien l’écriture, je ne prétends rien, car je n’y connais rien. Je laisse aux autres les satisfactions du « savoir » (ou du « croire savoir »). Je n’ai pour moi que ma sensibilité, mon extrême et douloureuse sensibilité, mes traumatismes démoniaques, mes tourments. Mon âme jouit du châtiment avec cette Putain qu’est la Vie, dans sa complexité, dans son immensité, dans sa cruauté, dans son néant.
En attendant de pouvoir vivre la Mort comme une délivrance, je tente de mourir la Vie dans l’expérience. Chaque instant est une souffrance ; chaque souffrance me fait sentir vivant dans le néant. L’Homme que je suis est un être en lambeaux aux viscères putrides, ma verve n’est que la liquéfaction d’un mal cancéreux métastasé. Je laisse le fantasme de la guérison au commun ; je n’ai même plus foi en la rémission. J’épanche les « nécrofluides » sur le lin ou sur le papier comme un témoignage.Une vie ne suffirait pas à réaliser l’étendue du tout, ni même à comprendre une infime partie. Néanmoins, l’érudition, le savoir con de mes congénères génère l’admiration, et la stupéfaction aussi par l’ignorance qu’elle cache derrière son étalage (j’épanche ici ma jalousie, ma rancœur de procrastinateur indolent). J’admire pourtant la race Humaine, je la hais ; elle me fascine de sa richesse inconsciente. Sa bêtise est à la hauteur de son intelligence. Nous nous sommes programmés à l’autodestruction, nous sommes une race hiérarchisée perverse et cannibale.Qui ou Que suis-je…
Un accident. Un acte raté. Une vulgaire erreur. Une bête infâme nourrit par l’observation, l’analyse, la constatation, l’expérimentation, l’attention, la considération, l’objection, la réflexion. Je ne suis rien, je ne suis que ce que Nous sommes, je ne suis que ce que Vous êtes. Je ne suis personne et tout le monde ; je suis semblable et différent à la fois ; Je suis ce paradoxe existentiel. Je suis un funambule sur le fil psychotique tissé de schizophrénie et autres folies. Je suis l’individu lambda parmi la masse, avec cette sensibilité accrue. Un procrastinateur soumis aux lois de l’indolence. Je suis. Je suis. Je suis. Je suis. Je suis. Je suis. Je suis. Je souffre.
Si je suis un égocentrique narcissique ? Avais-je le besoin que vous le pensiez pour que je le sache ? Non. Je pense être un synonyme d’Artiste, peut être, puisqu’en ce bas monde, en cette société, il faut mettre les gens dans des cases, étiqueter. Je hais ce mot, cependant il faut avouer qu’il est l’un des seuls qui exprime, ce que comme d’autre, « Je » est.

Amen. »


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