Il s’agirait du premier conte fantastique de notre histoire littéraire : Antoine de La Sale, l’auteur du best-seller du 15ème siècle, Jéhan de Saintré, y raconte l’ascension qu’il fit, dix ans plus tôt, de la colline qui monte à l’antre de la sibylle de Cumes, près de Naples… De la caverne qui s’ouvre à son sommet souffle un vent violent, après quoi, si l’on entre, il y a un pont au dessus d’un abyme bouillonnant, puis des portes de fer qui battent éternellement, et encore deux dragons phosphorescents dans les grottes suivantes, avant de parvenir au paradis souterrain de la reine Sibylle, où le Malin donnera à l’intempérant bien des occasions de pécher (d’où le titre ambigu, à moins de le comprendre, au sens déjà ancien à l’époque d’Antoine de La Sale, de « jardin merveilleux »)… À vrai dire, Antoine n’est pas allé aussi loin, mais un moine du cru lui a raconté que… Enfin, le moine non plus n’a rien vu, mais deux chevaliers allemands, autrefois… Ou plutôt un autre chevalier, et son serviteur… La gigogne des récits-cadres place le témoignage dans la dépendance du crédit que l’on peut accorder aux différents narrateurs, situation décrite par Todorov dans sa classique introduction à la littérature fantastique… Mais cette description fonctionnelle s’applique t-elle encre dans le cas du merveilleux médiéval ? Le chrétien du moyen-âge frissonnait peut-être à cette évocation d’une porte ouverte des enfers, dans le sud de l’Italie… Cette ambiguïté fait le charme de ce récit, avec sa langue savoureuse. On peut discerner aussi des thèmes antiques : descente aux enfers, emprisonnement sensuel (île de circé), seuils symboliques entre les mondes…
Le conte fut publié dans le recueil qu’Antoine de la Sale nomma sa Salade ; on le trouve sur Gallica (magnifique édition de 1522 à télécharger).
J’ai fait moi-même le pélerinage de l’antre de la sibylle, dans les années 1990, au cours d’une journée où il m’est arrivé bien des choses étranges, preuve que l’enchantement de ces lieux magiques demeure.
« Les gens a qui il comptoit ces choses lui demandoient des merveilles de celle cave, et qui il y avait trouvé. /// Dessoubs ce pont a tresgrant et hydeux abisme de parfondeur, et au fons oyt on une tresgrosse riviere… tant est la hideur merveilleuse »
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