L’esprit de la danse /\ Le Dieu Le Dieu (« Danser sa vie » ?)

Capella Sansevero, Napoli

Le corps qui entre, c’est la carène de côtes caves, souffle rauque rampant dans un coin des poumons, fatigue, fatigue des jours sans essor, consumation sans but, sans jouir. Haleine, estomac. Intestin, merde. Ces points de ponctuation au long des muscles, au long des os, au long des ans : fêlures que la douleur hante, par où irrompera le néant. Le corps qui entre, c’est le corps de mort. Je l’ai croisé un jour, ce corps, dans un escalier où il devait faire station de chaque marche ; ses yeux roulaient, entre les mèches de cheveux teints, dans la panique des formes qui se défont.

La pianiste s’est assise, elle égrène les premières notes. Je te salue, génie du nord. Torsion. Je te salue, génie du sud. Torsion. Je vous salue, génies des quatre coins, torsions, révérence, courbure, le plexus qui se dit solaire appelle à lui le ciel… Un  nuage piqueté d’arpèges émane désormais du piano, une poudre d’or où réverbèrent par éclairs les boucles blondes de la Présence… Un front roulant se déroule sur moi, m’enveloppe, je n’ai jamais su qui il était, mais j’ai toujours pavoisé toutes mes avenues de ses couleurs, et ouvert le coeur de toutes mes places, pour sa venue. Parfois en vain. Corégies. Introïts. Couronnements. Cortèges. Pampres. Je glisse au long des cordes frappées d’éclat, l’espace est troué par les hautes flêches des rêves encore à vivre, le corps est mouvement, élévation, franchises consacrées, libertés… Le corps qui danse, c’est le corps de gloire, c’est le corps tourbillonnaire vidé de sa chair (la carne, tu es poussière et retourneras, et coetera, coïteras, sursauts), empli de légèreté, le corps qui n’obéit pas, le corps qui règne, dans l’outrance des gravités niées… Ballon, grande polka, suspends, suspends, suspends… Je n’ai jamais su qui il était, et pourtant j’ai vécu pour lui. De quelles forêts, surgi, de quelle tourbe ? Immense clair de rire, le mufle du Dieu dans l’éclatement de la glaise, retentissement ! Eh ! Les petits hommes : quelle surprise ! Quelles transubstantiations, sur les rivages, et autour des feux, et dans les tentes, les fumées, les encens, rotations cervicales, yeux chavirés, c’est la voix des aïeules qui parle dans la bouche des pères, cris, on se prosterne ou on tourne, tourne, tourne… La tornade appelle le ciel : tes yeux ouverts, l’homme, sur le ciel d’orage, et ta bouche apprêtée comme celle des petits oiseaux, quelle becquée il te faudrait, une becquée de ciel bleu vitreux, une becquée qui te rassasie, à t’éclater, à t’écarteler aux dimensions de cet horizon où roulent les phénomènes… Le corps qui danse, c’est le corps épique, celui qui remonte les pistes des émotions, des hauts dits, des héros attachés au mat dans les tempêtes de la parole : les constellations du sens pivotent plus vite qu’on ne saurait les lire dans le ciel descellé, les châteaux les plus beaux sont pris avant que la cataracte de tes cheveux ne s’enroule sur mes poignets, Ô Mélisande… Ô apogée, Ô traînée, épiphanie, double voie lactée de tes jambes ouvertes… « À mon seul soleil »

Parfois la Présence s’épuise  dans l’échevèlement rompu de ses crêtes, de ses ahanaments, de ses triomphes échoués loin de moi. Où étais-je ? Qu’ai-je fait ? Corps renégat oublié dans la triangulation des barres, là où personne ne va, tout a continué sans moi… C’est que c’est un front de mots, qui m’occupait, petits mots porteurs de leur propre mort…

Une petite armada féminine, battant pavillon de toutes nations, à la manoeuvre entre les points cardinaux du désir, fait montre de ses voilures les plus écarlates  — déclinaison des voiles sur les coques de nacre…

Le corps qui se traînait dans l’escalier, était celui d’une danseuse âgée, flamenca. Je l’ai suivie des yeux, jusque la salle où elle est entrée, s’est placée dans l’entrebâillement d’une porte de chêne, au milieu du cercle d’élèves : elle s’est redressée, a frappé le sol de son pied de force, a parlé, montré, dansé : j’ai vu flamber le feu des lustres, dans sa mantille.

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3 Commentaires

Classé dans Chemin de vie/de pensée, Jaculations nocturnes et diurnes

3 réponses à “L’esprit de la danse /\ Le Dieu Le Dieu (« Danser sa vie » ?)

  1. Je viens de poster un billet,
    « sommes-nous déjà imaginaires? »,
    qui pourrait peut-être vous intéresser,
    vu ce que je viens de lire.
    A bientôt

    • Lu votre billet. Mais je ne suis pas sûr de vous suivre. QUAND n’avons nous pas été « imaginaires » ? Si j’ai peur de mon patron, si je crois qu’il me hait, ne suis-je pas dans l’imaginaire ? Si je désire la boulangère à cause de ses gros seins, idem ? (Ou le contraire, désir du patron, peur des seins de la boulangère…) Il se fait sur internet des échanges on ne peut plus rééls, comme dans la vie des expériences imaginaires… Je ne comprends pas votre scission entre imaginaire, virtuel et réalité. Quant au roman, très bon peut-être par ailleurs, est-ce que ce n’est pas l’artifice du Cyrano, remis au goût du jour ? À nouveau, la modalité (internet) modifie t-elle quoi que ce soit aux jeux de l’identité ?
      Amicalement,
      YG (pas trouvé comment laisser des commentaires à la suite de votre billet)

  2. Pour laisser un commentaire, il suffit de cliquer sur le nombre rouge, à droite du billet.
    Sinon, concernant le roman de Balaert, cela va plus loin, à mon sens, que Cyrano. Mais je ne peux pas dire pourquoi sa dévoiler la fin, ce qui serait franchement dommage…
    Cela ressemble plutôt aux liaisons dangereuses, y compris pour la précision de l’écriture, l’érotisme littéraire, et l’enjeu finalement vital.
    Je vais parler d’autres aspects de ce roman, et citer des passages.
    A bientôt, j’espère…

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