VIOLENCE : MISE-AU-POINT

Une aimable correspondante m’explique avec gentillesse qu’elle ne saurait lire mon livre, à cause de la violence annoncée de son contenu. Je respecte tout à fait cette sensibilité et cette position, qui sont celles aussi de l’une de mes amies parmi les plus chères. Mais j’ai pensé que ce serait l’occasion d’une petite mise au point sur la cruauté de certaines scènes du roman. D’abord débarrassons-nous tout de suite de l' »argument faible » : « l’horreur est dans la vie, elle est donc légitime dans l’art » ; ceci est vrai, mais la beauté est aussi dans la vie, il n’y a pas plus de raison de se focaliser sur l’une plutôt que sur l’autre. D’ailleurs, je ne l’ai pas fait, et il faut signaler que les scènes « sadiennes » ne sont que dans les derniers chapitres du livre, qui s’ouvre par un long prologue, que j’espère beau et poétique (isolé, il a remporté le prix de la nouvelle du Matricule des Anges en 2008), et ne glisse que très progressivement vers… autre chose.

La présence de la violence dans mon livre est en fait plutôt inhérente au projet : je suis parti d’une interrogation sur le « fil rouge de la cruauté » dans la littérature française : pourquoi Sade ? Mirbeau ? Bataille ? Guyotat ? Littell ? Pourquoi dans NOTRE littérature ? Qu’est-ce qui dans notre histoire explique ce « fil rouge » ? Je vivais aux Antilles alors, entouré des vestiges monumentaux et sociaux et politiques de l’esclavage, et la réponse un jour m’est apparue crûment : tout a commencé avec Sade, et Sade a écrit au moment où le « commerce triangulaire » et l’exploitation esclavagiste battait son plein, et enrichissait notre pays plus qu’aucun autre au monde (Saint Domingue seule produisait plus que toutes les colonies anglaises). Le système sadien, avant d’être littéraire, était en acte dans nos colonies : distillant en sucre, puis en argent, les futurs plaisirs de ses bénéficiaires. Ce qui m’a donné l’idée d’un livre exploratoire de cette coïncidence entre les Lumières, Sade, et l’exploitation coloniale. Exploration qui est devenu un roman d’aventure, historique, psychanalytique, érotique… Pour éclairer quelques unes des fractures de l’âme humaine.

Mais je ne crois pas pour autant que Sade fût un monstre (en tout cas pas plus que ceux qui à Paris mettaient leurs capitaux dans la Compagnie des Indes). Sade était un écrivain. C’est ainsi que j’ai voulu rappeler dans le livre que la violence littéraire n’est que littérature, qu’agencement et manipulation de mots… Dans un article critique, on m’a reproché une violence qui allait jusqu’au « grand guignol »… Eh oui, bien sûr ! Mais ce n’est pas accidentel, je le revendique ! Cette violence, il m’a parfois coûté, psychologiquement, de la créer, mais j’en ai ri aussi parfois, et en tout cas je l’ai voulu assez extrême pour que le lecteur décroche, n’y croie pas, reprenne ses distances, réalise la scission entre les mots et les choses… FANTASMAGORIE ! J’ajoute aux pages statiques du blog un extrait, « l’art du tonnelier », qui je l’espère illustrera cette démarche.

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Classé dans Ars poetica, Plantation Massa-Lanmaux

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