Une réponse anticipée de Freud à Onfray : Psychanalyse et télépathie, 1921

« Les analystes sont au fond d’incorrigibles mécanistes et matérialistes, même s’ils se gardent bien de dépouiller ce qui concerne l’âme et l’esprit de ses particularités encore inconnues. S’ils s’engagent dans l’étude du matériel occulte, c’est uniquement parce qu’ils en attendent de pouvoir exclure définitivement de la réalité matérielle les productions de désir de l’humanité. 

Avec des dispositions d’esprit aussi différentes, un travail commun entre analystes et occultistes offre peu de perspectives de gain. L’analyste a son propre champ de travail qu’il ne doit pas quitter, l’inconscient de la vie de l’âme. S’il voulait, pendant son travail, guetter des phénomènes occultes, il courrait le danger de ne pas voir tout ce qui est plus proche de lui. Il y perdrait sa non-prévention, son impartialité, son absence d’attentes, qui cons­tituaient une part essentielle de son armure et de son équipement d’analyste. Si des phénomènes occultes s’imposent à lui de la même manière que d’autres, il ne les évitera pas plus qu’il n’évite les autres. Telle semble être la seule ligne de conduite compatible avec l’activité de l’analyste. 

Contre un premier danger, le danger subjectif de voir son intérêt détourné au profit des phénomènes occultes, l’analyste peut se protéger par l’autodiscipline. Il en va autrement du danger objectif. 

Il n’est guère douteux que s’occuper des phénomènes occultes aura très vite pour résultat de voir confirmer la factualité de nombre d’entre eux; il est à supposer que beaucoup de temps passera avant qu’on ne parvienne à une théorie acceptable de ces faits nouveaux. Mais ceux qui tendent avidement l’oreille n’atten­dront pas si longtemps. Dès la première approbation les occultistes vont déclarer leur cause victorieuse, ils vont élargir à toutes les autres la croyance accordée à une seule affirmation, et, des phéno­mènes, l’étendre aux explications qui leur sont les plus proches et les plus chères. 

Les méthodes de l’investigation scientifique ne leur serviront que d’échelle pour s’élever au-dessus de la science. Malheur, s’ils arrivent à monter si haut! Et aucun scepticisme des spectateurs et des auditeurs ne les inquiétera, aucune protestation venue de la foule ne les retiendra. Ils seront salués comme des libérateurs nous délivrant de l’accablante contrainte de pensée, toute la crédulité, disponible depuis les jours d’enfance de l’huma­nité et les années d’enfance des individus, se portera à leur ren­contre en les acclamant. 

Un effondrement effroyable de la pensée critique, de l’exigence déterministe, de la science mécaniste peut alors être imminent; la technique pourra-t-elle l’empêcher par son attachement inflexible à la grandeur de la force, à la masse et à la qualité du matériel? 

Il est vain d’espérer que le travail analytique, justement parce qu’il porte sur le mystérieux inconscient, échappera à un tel écrou­lement des valeurs. Si les esprits familiers aux humains donnent les explications dernières, alors les approches laborieuses, par la recherche analytique, de puissances psychiques inconnues, n’offrent plus aucun intérêt. 

Les voies de la technique analytique seront abandonnées elles aussi, si l’espoir sourit d’entrer par des pro­cédés occultes en relation immédiate avec les esprits agissants, exactement comme on renonce aux habitudes d’un travail patient et minutieux si l’espoir sourit de s’enrichir d’un seul coup par une spéculation réussie. Au cours de cette guerre nous avons entendu parler de personnes placées entre deux nations ennemies, apparte­nant à l’une par la naissance, à l’autre par le choix et la rési­dence; ce fut leur destin d’être traitées en ennemis d’abord par l’une, puis, si elles avaient la chance d’en réchapper, par l’autre. Tel pourrait être aussi le destin de la psychanalyse. 

Cependant, les destins doivent être supportés quels qu’ils puissent être. La psychanalyse, elle aussi, s’accommodera du sien, d’une manière ou d’une autre. Revenons au présent, à la tâche immédiate. J’ai fait, au cours des dernières années, quelques obser­vations que, tout au moins dans le cercle de mes proches, je ne veux pas garder par-devers moi. La répugnance à suivre un cou­rant dominant de notre époque, le souci de ne pas porter l’intérêt à se détourner de la psychanalyse et le manque absolu de déguisement aux fins de discrétion, voilà les motifs qui se conjuguent pour interdire toute plus large publicité à ma communication. 

Je revendique pour mon matériel deux avantages que l’on trouve rarement. Premièrement, il est exempt des réserves et des doutes auxquels restent sujettes la plupart des observations des occultistes, et deuxièmement il ne développe sa force démonstrative qu’après avoir été soumis à l’élaboration analytique. Toutefois, il ne se compose que de deux cas qui ont un caractère commun; un troi­sième cas est d’une autre nature, ajouté seulement à titre d’annexe et susceptible d’une autre appréciation. 

Les deux cas que je vais maintenant exposer amplement concernent des événements de même nature, des prophéties de diseurs de bonne aventure profes­sionnels qui ne se sont pas accomplies. Elles n’en ont pas moins impressionné à l’extrême les personnes à qui elles furent faites, de sorte que leur relation au futur ne peut pas en constituer l’essentiel. Toute contribution à leur explication, de même que toute réserve relative à leur force démonstrative seront pour moi extrêmement bienvenues. Ma position personnelle face à ce matériau reste faite de répugnance, d’ambivalence. »

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