« L’accomplissement, ne fût-ce qu’à moitié, du processus de l’antilangue constituait un succès. Il commençait par l’interruption du développement normal d’une langue pour la réduire à un état de débilité, semblable à celui d’un enfant arriéré et en poursuivre ensuite la mutilation. Sur un dossier était portée toute l’expérience de sa dégradation : la comparaison, d’année en année, du lexique dont les mots se raréfiaient comme les feuilles à l’automne, le délabrement grammatical, l’atrophie des particules et surtout des préfixes, l’engraissement de la syntaxe. La langue, petit à petit, s’épaississait comme un parler de bègue. Une telle langue devenait pratiquement inoffensive car, comme une femme qui a subi l’ablation de la matrice, elle perdait l’aptitude à produire des poésies, des contes, des légendes. »
Ismaël Kadaré, La Niche de La Honte
Des politiques pour la plupart incultes — voire acculturés —, des grandes entreprises trans-dénationalisées, une bourgeoisie qui a perdu le sens de ses devoirs — en particulier envers la culture et la connaissance—, au profit de la seule obsession de ses intérêts mercantiles et pécuniaires : tous ces groupes sont les plus éminents responsables du lâchage de la langue française, de son enlaidissement et de son parasitage par des signes linguistiques en globish. Le grand écrivain Ismaël Kadaré, loin sans doute de ces préoccupations sur le devenir du Français (qui ne disparaîtra certes pas, et survivra, mais dans quel état ?) avait déjà imaginé qu’un empire supranational pût organiser la dégradation d’une langue afin d’obtenir l’anéantissement culturel de la nation qui la portait, et la fin de toute velléité d’indépendance.
Il faut lire ces lignes qui résonnent cruellement aujourd’hui. C’est une prophétie dont assistons à la rapide réalisation, bien plus rapide que ne l’avait imaginé l’écrivain-voyant : qui aurait cru que l’on entendrait une ministre française de la culture se féliciter de ne jamais avoir lu un écrivain français nobélisé ? ou des universités françaises enseigner en Anglais ? des chercheurs évalués par leur nombre de publications dans des revues uniquement anglo-saxonnes ? une Société Nationale des Chemins de Fers proposer le globish comme langue par défaut pour son site internet ? et une Ministre de l’Éducation Nationale traiter de « pseudo-intellectuels » de grands savants français qui prennent parti pour conserver le Latin, matrice de notre langue, dans l’école de la République ?
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Le mot pécunier n’existe pas et constitue un barbarisme. Pécunier n’est pas non plus le masculin de pécunière. Le mot pécuniaire vient du latin pecuniarius, de pecunia « argent ». En français, l’adjectif pécuniaire signifie « qui a rapport à l’argent » ou « qui est en argent ». Cet adjectif est soit masculin (un intérêt pécuniaire), soit féminin (une difficulté pécuniaire). Il ne faut donc pas utiliser le mot pécunier pour pécuniaire. Et donc écrire « intérêts mercantiles et pécuniers » est une faute de français.
Merci M.Maingot, je corrige. À noter tout de même que le Grand Littré semblait accepter « pécunier » (« on dit aussi pécunier »).