Dans l’émission télévisée Ce Soir ou Jamais du 7 février 2012, l’écrivain Richard Millet, « Français de souche », « hanté par l’identité nationale » dit une fois de plus son cauchemar absolu d’être « le seul blanc », dans la station RER Chatelet-Les Halles.
Je l’ai entendu aussi tenir les mêmes propos, sur le même ton douloureux, lorsqu’invité sur France Culture par Alain Finkielkraut.
« Il y a une douleur pour moi à savoir dans quel pays je suis, racialement, ethniquement, et coetera… »
Mais qui sont ces bronzés qui entourent Richard Millet dans le RER, et lui procurent ce trouble obsidional et victimaire, sans doute métissé de masochisme ? Et s’ils avaient noms Patrick Chamoiseau, Marie NDiaye, René Depestre, Kossi Efoui, Fred Lasserre, Simone Schwartz-Bart, Maryse Condé (et même, à titre d’ombres, les grands disparus Aimé Césaire, Édouard Glissant) ? Amin Maalouf, Assia Djebar ? Tous magnifiques possesseurs, enlumineurs, jouisseurs, illustrateurs de la langue et de l’art et de la culture française !? Tous Français à 100%, 200%, 10 000% !? Richard Millet, pour grand écrivain qu’il soit, ne sait-il voir des gens des gens que la couleur de leur épiderme, peu au-delà du bout de son nez blanc ? Mais alors, quelle est la dernière goutte de sang noir, la dernière carnation plus sombre, en dessous desquelles Monsieur Millet n’aura plus l’impression que l’identité nationale est mise en péril par l’invasion de tous ces bronzés ? L’identité française devrait-elle être établie par voie génétique ? Par critères physiologiques ? Et que répondra Monsieur Millet à celui qui lui dira, un jour, qu’avec ses oreilles de métèques, son nez de youpin, ses yeux un peu bridés et ses lèvres de nègre, et son enfance au Liban, lui, Richard Millet, ne peut prétendre être français ou prétendre participer à l’identité nationale de son pays ? Que dira t-il à son voisin dans le RER qui lui exprimera son trouble de se trouver devant une gueule troublante, la sienne, qui destabilise l’identité nationale ?
Les propos de Richard Millet sont implicitement racialistes, donc racistes. Que ne se l’avoue t-il une bonne fois pour toutes ? Ce ne serait pas pour qu’on puisse le couvrir d’une opprobre bien pensante, mais pour qu’il soit guéri, lui, d’une telle fausse ambiguïté, et puisse discuter et défendre des positions claires et cohérentes, pour autant que déplorables — plutôt que ces demi-déclarations aporétiques dans l’ombre desquelles rampent les pas-vraiment-dits. Il se soulagerait et nous soulagerait de l’étalement médiatique de sa souffrance, qui fait peine à voir. Abandonne la névrose, Richard, passe à la perversion !
Post scriptum 1: Peut-on tout accepter d’un écrivain, sous prétexte d’art ou de talent ? J’ai longtemps pensé que oui, et j’ai lu Céline, Rebatet, Drieu (je les cite mais je ne les mets pas tous dans le même sac bien sûr, ni en terme d’engagement, ni de style ni de grandeur) sans trop m’inquiéter de ce qu’avait été leur vie… Mais peut-être est-ce l’âge — je me suis laissé envahir par la morale —, je ne pourrai plus lire « Gilles » sans le mettre en rapport avec ce témoignage autrefois entendu d’un SS écrasant à Nice le crâne d’une femme juive à coups de bottes. Pour les mêmes raisons, je n’ai pas pu, aux Antilles, ne pas mettre en rapport la littérature de Sade avec la réalité qui lui était contemporaine, du système esclavagiste (rapport que j’ai cherché à éclairer dans mon roman Plantion Massa-Lanmaux).
Post scriptum 2, du 30/03/12 : je viens de lire par hasard un article du Monde, écrit par la romancière Nicole Caligaris (je ne la connaissais pas), qui met plus longuement les points sur les « i » : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/06/29/de-la-faible-vue-de-richard-millet-sur-la-peau-des-francais_1541844_3232.html
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