Avant que je ne me livre à certaine expérience sonore (c’était sur le flanc d’une écurie de chevaux blancs, et dans le mitan d’un soleil purulent de moustiques), je ne m’étais jamais attardé sur le mot « bégaiement ». Il me hante depuis, au titre de la richesse de son éventail sémantique : bée, gai, ment… Et gaiement… Et beg… Une tripotée, une quadripotée même, de mots qui se renient et se tirent la bourre… Et l’imprégnation de gaieté là-dessus, pour démentir tout le calvaire — qu’on imagine —, du bègue… Le bègue, celui qui beg, vous savez, au bas de votre immeuble ! Celui qui vous quémande le sens : il croit que vous le commandez, vous, le sens !
Et puis vous jonglez si facilement, si aveuglément, avec le temps : votre langage comme une présomption de l’esprit, disait le poète, s’établit sur les trois saisons de l’être. Mais le bègue, lui, le bègue ni le beggar ni le poète (enfin les autres poètes) ne peuvent s’expliquer que les mots, les mots ! les mots ! se conservent identiques, alors que l’être, déjà, n’est plus ! N’est plus que le flux enfui, et que les mots soudain sont vains ! Et ce n’est encore là que l’une des myriapodes de raisons qui font que le langage achoppe, que le langage ne peut dire !
C’est lui qui a raison le bègue, c’est lui qui est devant le mur infranchissable de la vérité.
Enfin dans le bégaiement, subi ou librement emprunté, je ne puis m’empêcher de penser qu’il entre une pure fascination pour la répétition : que le bégaiement c’est le hoquet et le sanglot de la pulsion de mort. Le bègue se rend compte qu’il tire la mort dans le chariot du langage, qu’il s’évertue en vain à vouloir s’échapper sur le chemin de sa langue, mais que pas plus il ne s’échappera, que l’Achille qui bégaie sa fuite inutile devant la tortue.
Alors béez, les gais beggars. Trinch est le gai savoir, il est monosyllabe. Trinch ! TRINCH !
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