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Jour triste de la francophonie (LE GRAND REMPLACEMENT)

 

We don't give a fuckJeudi 20 mars, c’était la journée mondiale de la Francophonie. Jeudi 20 mars, c’était un triste jour, parmi d’autres, pour la Francophonie.  L’avant-veille, la ministre de la culture avait remis à un groupe qui chante en Anglais la médaille de chevalier des Arts et des Lettres; la chanteuse arborait un T-shirt où étaient inscrites des insanités hypocrites (car personne ne les forçait à accepter la décoration, qui sans doute servait bien leur « media plan »), insanités tout aussi angloïdes que leur musique. Ils ne connaissent pas l’argot français ? Je ne discute par ailleurs pas leur talent.

Amazing SciencePareillement, pendant ce temps, une exposition scientifique de l’Inserm avait pour nom « Amazing Science » ; clin d’oeil, paraît-il, à la « culture SF des magazines américains des années 30 ». En avait-elle besoin, la culture américaine, de ce clin d’oeil ? Comme si la culture américaine c’était la culture partagée de référence, le lieu obligé de la connivence… Et un organisme français d’état, ne pouvait-il prendre la peine de donner un titre français à son exposition ? S’il ne se trouvait plus personne pour parler Français parmi les chercheurs, peut-être aurait-on pu louer les services d’un traducteur ? La personne recrutée, avec un peu de chance, aurait d’ailleurs peut-être pu leur parler de Jules Verne, de Cyrano. C’était avant les « magazines SF des années 30″…
Doré&friends

Et puis à Strasbourg, au musée : exposition « Doré&Friends »… Titre en Anglais pour attirer les visiteurs étrangers, me direz-vous… Mais attendez, c’est à la frontière anglaise, Strasbourg ? Ils parlent américain, les 80 millions de gens de l’autre côté de la frontière ?

 

Hélas, la Francophonie, pour l’état français, cela veut juste dire fourguer des réseaux bancaires et d’assurance, délocaliser des usines Renault et exploiter de l’uranium. Au gré de transactions sans doute conduites en globish : les diplomates français ne font même plus l’effort de parler leur langue, comme l’exigeait encore Chirac — et rappelons nous que Christine Lagarde, imposait l’Anglais comme langue de travail, non pas au FMI, mais à Bercy, au Ministère de l’Économie et des Finances.
De ce point de vue, que l’état soit géré par la droite extrême à la Sarkozy-Buisson, ou par le centre-droit modéré à la Hollande-Moscovici, ça ne change rien.
Leurs élites économiques, politiques, scientifiques et médiatiques n’aiment plus la France ; ce n’est pas surprenant que les Français n’aiment plus leurs élites. Et où va t-on, dans ce renoncement à soi, dans cette soumission à la puissance dominante, cette servitude volontaire ? La littérature française s’aplatit — il n’y a qu’un Houellebecq pour arriver à jouer de cet aplatissement, à en tirer des effets de verts-de-gris — les autres écrivants n’en ont même plus conscience — et le langage s’amenuise pour n’être plus qu’un assemblage de lieux-communs. Pas étonnant que le dernier recours de l’expressivité, en particulier en politique, ce soit l’invective, l’accusation, la « petite phrase » stupide. On s’est passionné, on s’est déchirés, écharpés, pour ou contre ou dans ou au-dehors du débat, lancé avec opportunisme et malveillance, sur « l’identité française » ; pas une fois il ne fut question de la langue.
Ci-dessous, ces belles et ferventes considérations de Paul Claudel, plus définitives, en leur lointain (1881) que tous les débats creux, obsédés de couleurs de peaux ou bien de viande hallal, sur l’identité nationale ; on frissonne en les comparant à là où nous sommes rendus, 130 ans plus tard.

« La langue française est le produit, en même temps que le document, le plus parfait de notre tradition nationale. Elle a été le principal moyen de construction d’un peuple formé de vingt races différentes, du résidu de je ne sais combien d’invasions et de migrations l’une sur l’autre, qui une fois parvenues à cette fin de la terre, embouties à cette extrémité de la jetée européenne, se trouvaient bien forcées d’établir entre leurs couches et tranches disparates une solidarité, un accord, que d’ailleurs la disposition du terroir leur imposait. Si la France en effet est diverse au point de vue ethnographique, au point de vue géographique elle est une et indivisible et les conseils de rupture sont infiniment moins puissants pour elle que les nécessités de la concentration. Il ne pouvait y avoir entre les Français de différends que spirituels et c’était à l’intelligence seule que pouvait être confiée la tâche de conduire les délibérations propres à les réduire. Tout citoyen de cet assemblage hasardeux et bigarré qui avait émergé des ruines de l’Empire Romain et des moraines de la Barbarie se trouvait ainsi incliné à devenir un orateur, un diplomate et un juriste. […] Chaque Français, comme je le disais il y a quelques mois à vos camarades de Tokyô, héritier de vingt races hétérogènes, a toujours constitué à lui seul une petite souveraineté en voie de tractation continuelle, diplomatique et juridique, avec les souverainetés voisines, sous l’autorité d’une espèce de tribunal épars, mais tout-puissant, que l’on appelle l’Opinion. De là l’importance chez nous de la littérature et du parler, de là ce caractère essentiel qui fait le fond de tous deux, dans le domaine non seulement de la prose mais de la poésie, qu’il s’agisse d’idées, de psychologie ou de descriptions, et qui est le désir passionné de l’exactitude. Il s’agit toujours d’expliquer et de s’expliquer. La perfection et l’efficacité du langage n’ont pas été seulement chez nous l’ambition de quelques raffinés, elles avaient une importance pratique capitale, on ne pouvait trop chérir et soigner le principal instrument de notre unité nationale… »

Paris, on the Seyne River

 

 

 

 

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Notes de lecture/Renaissance : La plume et les langues, de Jean-François Courouau

Brueghel l'Ancien, La Tour de BabelÀ l’heure où la Francophonie vacille, et ne semble plus intéresser les Français — quand ils ne la bradent pas pour quelques barils de pétrole — il m’a semblé intéressant de reparcourir les notes qui suivent. Pourquoi écrire dans une langue, plutôt qu’une autre ? Beaucoup d’écrivains ont abandonné leur langue natale pour l’Anglais, ou plutôt l’Américain, et si ce phénomène ne touche pas encore les Francophones, qui ont leur propre espace de diffusion (de plus en plus restreint et fragmenté), combien de temps vont-ils encore rester à l’écart de ce phénomène ? Les librairies ferment, les éditeurs se concentrent sur quelques titres juteux, les enquêtes sur les pratiques culturelles montrent une baisse flagrante de la lecture, et en ce qui concerne la poésie ses lecteurs deviennent rarissimes, même dans le monde de l’éducation et de l’université. Alors pourquoi ne pas transiger vers un lectorat potentiel de près d’un milliard d’anglophones ? Je me fais bien sûr l’avocat du diable, mais il est urgent que la France cesse de liquider sa culture et ses arts, et se donne les moyens de soutenir la Francophonie. Enfin que les élites prennent conscience des enjeux culturel et renoncent à pervertir jour après jour leur langue en la mêlant de borborygmes sonnant comme de l’Anglais de chez Procter&Gamble (département marketing) : parce que c’est pas cool et pas top dans mon business plan, rapport au benchmark (ô mon lecteur idéal, je te demande pardon pour ces expressions qui t’ont donné un compréhensible haut-le-coeur). Le magnétisme d’une langue a toujours été un effet de puissance politique (à moins que nous ne fussions entrés dans une autre époque ?) Jean-François Courouau l’évoque en ce qui concernait, déjà, le choix d’une langue d’écriture à l’époque de Rabelais :

COUROUAU, Jean-François, « La plume et les langues : Réflexions sur le choix linguistique à l’époque moderne», L’Homme, 2006, n°177-178, pp. 251 à 278.

L’écrivain européen, au seizième siècle et durant la plus grande partie du dix-septième siècle, a le choix entre au moins deux langues — le latin et le vernaculaire — auxquelles s’ajoute fréquemment un idiome régional. Le choix linguistique n’est donc pas un acte neutre, ni culturellement, ni socialement, ni politiquement. Au seizième siècle, Évangélisme puis Réforme favorisent l’accés direct au Texte de la Bible par la promotion — restreinte au champ religieux — des langues vernaculaires. L’autre facteur d’émergence de certains vernaculaires étant la montée en puissance d’États dotés d’appareils administratifs : auquel cas la langue officielle choisie est, non pas celle des sujets, mais celle du roi et de sa chancellerie. Jean-François Courouau interroge alors, dans la genèse des identités nationales, la hiérarchie entre liens politiques et liens linguistiques.

Dans ces conditions, le choix linguistique d’un auteur est un arbitrage entre le capital symbolique des différentes langues — l’importance des corpus littéraires déjà constitués —, et leur capital social et politique. Dans chaque ensemble linguistique important se constitue alors une forme de vernaculaire haut dit « standard », qui est un artefact élaboré par les litterati, à la confluence de littéraire et de l’administratif — cette forme ne coïncidant jamais avec une forme parlée : le français ne tire pas plus son origine du Francien, que le toscan littéraire du dialecte de la Toscane. Corollairement, se constituent des idéologies linguistiques sous-tendues de jugements dépréciatifs. Le choix d’une « petite langue » comme véhicule d’expression (J.F. Courouau ne l’évoque pas, mais l’auteur de ce mémoire pense bien sûr à Rabelais) ne semble alors pas être un choix de résistance politique, mais linguistique, avec un désir de rehaussement, de « deffense » de la langue périphérique ; ce peut être aussi un choix éthique en faveur d’une langue mourante ou en tout cas dominée ; ce peut encore être un choix esthétique plus difficile à définir ; en revanche ce n’est jamais un choix « pour le peuple », les milieux lettrés ne manifestant aucune attention aux strates inférieures de la société. Un cas particulier intéressant est celui de la production parodique ou humoristique, en vernaculaire bas, d’une forme littéraire de la langue haute : il n’y a pas nécessairement refus d’un modèle dominant, mais jeu avec ses formes. À noter enfin que la croyance en un « génie de la langue », reflétant un mode de représentation du réel, n’apparaîtrait pas avant le dix-septième siècle (Mireille Huchon, dans l’article « La prose d’art sous François 1er: illustrations et conventions», donne toutefois des exemples précurseurs de cette notion pris en plein seizième siècle).

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