Archives de Tag: littérature

La Masochiste, par Guillaume de Lorris

TristesseTristesse est personnifiée dans le Roman de la Rose (ci-dessous, suivi de la traduction en Français moderne) : ne croirait-on s’avancer un marbre allégorique de Rodin, drapé dans un voile funeste ? Ou mieux, ne croirait-on reconnaître quelques personnes de notre connaissance, qui se sont fait un bel enfer intérieur auquel ils tiennent plus que tout, et dont ils ont muré les issues ? Hélas, ce jardin intérieur du maso, comme il nous est facile d’en reconnaître chez l’autre les allées et les bosquets, et comme, lorsqu’il s’agit du nôtre, nous en habillons les travées de nécessité, et de toutes sortes d’autres fallacieuseries !

291  "Delez Envie auques près iere                   
     Tristece painte en la maisiere;
     Mès bien paroit à sa color
     Qu'ele avoit au cuer grant dolor,
     Et sembloit avoir la jaunice.
     Si n'i féist riens Avarice
     Ne de paleur, ne de mégrece:
     Car li soucis et la destrece,
     Et la pesance et les ennuis
     Qu'el soffroit de jors et de nuis,
     L'avoient moult fete jaunir,
     Et megre et pale devenir.
     Oncques mès nus en tel martire
     Ne fu, ne n'ot ausinc grant ire
     Cum il sembloit que ele éust:
     Je cuit que nus ne li séust
     Faire riens qui li péust plaire:
     N'el ne se vosist pas retraire,
     Ne réconforter à nul fuer
     Du duel qu'ele avoit à son cuer."

« À côté d’Envie, à quelque distance, il y avait, représentée sur la muraille, Tristesse. Or, il apparaissait bien à sa couleur que son coeur était plein d’une grande douleur : on eût dit qu’elle avait la jaunisse, et à côté d’elle, la pâleur et la maigreur d’Avarice n’étaient rien, car les soucis, la tristesse, la peine et les ennuis qu’elle souffrait jour et nuit lui avaient donné un teint bien jaune et l’avaient rendue maigre et pâle. Jamais être ne fut né pour subir un tel martyre, et ne vécut telle angoisse comme ce qu’elle semblait connaître. Je crois que personne n’aurait su quoi que ce soit pour lui plaire et qu’elle n’aurait voulu sous aucun prétexte renoncer au chagrin qu’elle avait dans son coeur »

(trad. Armand Strubel, Le Livre de Poche coll. Lettres gothiques)

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Pierre Guyotat, Éden, Eden, Eden : extraits

Oui, Éden est toujours choquant. À l’époque, en 1970, alors qu’étaient encore vives les blessures de la Guerre d’Algérie, les trois préfaces de MM.Barthes, Leris et Solllers ne purent empêcher l’interdiction du texte — interdiction qui ne fut levée qu’en 1981.
Quant à moi je le relis ces jours-ci, avec une admiration renouvelée et peut-être même accrue, depuis ma première lecture d’il y a une dizaine d’années. Admiration pour le lyrisme, la vibration des matières, des corps et du langage ; admiration pour l’attention à tous les détails naturels — au sens de « sciences naturelles » — à tous les débordements et les excrétions, les sécrétions, les exécrations de la vie… À ce vaste chant pornographique et meurtrier, orgiaque et cruel, Sadien, participent non seulement les hommes et les femmes, mais les enfants, mais les animaux domestiques, mais la poussière minérale des chemins, les oiseaux, la lumière, les éléments… Tous conjoints pour un flot poétique et surréaliste, de foutre, de sang, de salive et de sperme, de désir cosmique… Amour et Haine, les grands mythes grecs, Empédocléens, ne sont pas loin.

Extraits :

« — au bas du Ferkous, sous l’éperon chargé de cèdres calcinés, orge, blé, ruchers, tombes, buvette, école, gaddous, figuiers, mechtas, murets tapissés d’écoulements de cervelle, vergers rubescents, palmiers, dilatés par le feu, éclatent : fleurs, pollen, épis, brins, papiers, étoffes maculées de lait, de merde, de sang, écorces, plumes, soulevés, ondulent, rejetés de brasier à brasier par le vent qui arrache le feu, de terre ; les soldats assoupis se redressent, hument les pans de la bâche, appuient leurs joues marquées de pleurs séchés contre les ridelles surchauffées, frottent leur sexe aux pneus empoussiérés ; creusant leurs joues, salivent sur le bois peint… »

« /le mirador surplombe la palmeraie calcinée ; la sentinelle peuhl, iris jaune glissant sur le globe bleu, laine crânienne ensuée, bascule le projecteur : le faisceau fouaille les chairs ensuées des soldats arc-boutés sur la femme ; la sentinelle broie son membre dans son poing, tourne le projecteur : le faisceau traverse le lit asséché de l’oued, saisit une vibration, sous le zéphir, des lauriers-roses empoussiérés : une troupe de chacals y déchire une charogne d’âne […] ; la sentinelle roule le projecteur sur le châssis, le faisceau arde les seins qui palpitent, pubescents, semés de sucre sous les pans encrassés du treillis […] ; la sentinelle, du poing, fait pivoter le projecteur vers la stratosphère… »

« …sous le surplomb du roc, les soldats soufflent sur un feu de branches dressé sur la bouche ouverte d’une femme morte […] ; je frotte ma poitrine à la toison de son sexe, une alouette y est prise ; à son cri, chaque fois que ma poitrine pèse sur le corps, jaillissent des larmes sur mes yeux ; un sang chaud ruisselle hors de mes oreilles ; la pluie d’excréments éclabousse le rocher ; les sangs, dans la vasque, brûlent, bouillonnent ; un jeune rebelle, ses pieds nus enduits de poudre d’onyx, ses lèvres de farine, sort de terre, se penche sur la vasque, plonge sa tête, ses poings […]; au camp, les femmes pèsent sur les barrières, le sexe des soldats se tend vers leurs mères, venues de métropole, sur ordre de l’État-major, pour les Fêtes du Servage ; ma mère, je l’emporte dans ma chambrée de bambou, je la couche sur la litière de paille empoisonnée ; tête, épaules plongées sous sa robe, je mange les fruits, les beignets d’antilope sur son sexe tanné tandis qu’elle, fatiguée par le voyage en cale, en benne, s’endort ; à l’aurore, elle s’est échappée de dessous mon corps ; étreinte par les soldats sous le mirador où je veille éjaculant, leurs genoux la renversent sur le sable… »

Post-scriptum: une catégorie manque à ce chant panthéiste, qui est celle de l’agir conscient, donc des sujets, de l’intelligence… À moins que l’intelligence, le langage, le verbe qui anime et porte ce monde, n’en soit considéré aussi comme le protagoniste…? YG

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Charles Martel mourra-t-il à Poitiers ? Paul Ricoeur et L’identité Narrative

La coïncidence des interrogations sur l’avenir de la littérature, et du raidissement identitaire planétaire (national, religieux ou ethnique), ne relève peut-être pas du hasard, mais de l’occultation d’une conception narrative de l’identité, au profit d’une illusion ontologique régressive.
« Je m’explique », comme disaient les professeurs en chaire, ou plutôt, puisque ces idées peut-être éternelles ne sont pas les miennes, « je tente d’expliquer ». Il s’agit (et il m’agite, il m’a gîte) en fait des conclusions du monumental et méticuleux, parfois ennuyeux, Temps et Récit, de Paul Ricoeur, dont je viens d’achever la lecture.

Petit prodrome (les prodromes étant apparentés aux camélidés, comme chacun le sait) : à la fin du siècle dernier, en 1999, Jean-Marie Schaeffer, éminent chercheur français, avait repris une question très ancienne dans un livre nouveau, au titre clair : Pourquoi la Fiction. Incluant les résultats de recherches récentes en psychologie et biologie à une réflexion qui avait auparavant été exclusivement littéraire et philosophique, et l’étendant, cette réflexion, aux domaines du virtuel et des jeux vidéos, il montrait que la fiction, loin d’être un luxe moribond, était essentielle au développement et aux fonctionnements mentaux d’un individu. Le bébé que nous avons tous été, pour autant que nous puissions l’inférer, fut déjà une machine à fictionner, et la fiction, après avoir guidé l’évolution de nos facultés psychiques, nous permet de négocier avec la réalité, et nous aide à nous façonner du premier jour (voire avant ? fascinantes perspectives…) jusqu’à celui de cette tombe où prendront fin nos expériences (voire ?…) À ce titre la fiction est destinée à durer autant que l’humanité.

Dans ses conclusion à Temps et Récit, Paul Ricoeur présente la question sous un autre angle, et suggère, à propos de nos mystères identitaires, de renoncer au fantasme de l’identité, ontologique, pour embrasser l’ipséité, qui en est la face narratologique : d’un soi-même toujours fuyant — point de fuite douloureux — à l’acceptation d’un soi-même toujours reconstruit, dans l’art et le récit de soi et de la collectivité.

« …quel est le support de la permanence du nom propre ? Qu’est-ce qui justifie qu’on tienne le sujet de l’action, ainsi désigné par son nom, pour le même tout au long d’une vie qui s’étire de la naissance à la mort ? La réponse ne peut être que narrative. Répondre à la question « qui » […] c’est raconter l’histoire d’une vie . L’histoire racontée dit le qui de l’action. l’identité du qui n’est donc elle-même qu’une identité narrative. Sans le secours de la narration, le problème de l’identité personnelle est en effet voué à une antinomie sans solution : ou bien l’on pose un sujet identique lui-ême dans la diversité de ses états, ou bien l’on tient, à la suite de Hume et de Nietzsche, que ce sujet identique n’est qu’une illusion substantialiste, dont l’élimination ne laisse apparaître qu’un pur divers de cognitions, d’émotions, de volitions.
Le soi-même peut ainsi être dit refiguré par l’application réflexive des configurations narratives. À la différence de l’identité abstraite du même, l’identité narrative, constitutive de l’ipséité, peut inclure le changement, la mutabilité, dans la cohésion d’une vie. Le sujet apparaît alors constitué à la fois comme lecteur et comme scripteur de sa propre vie, selon le voeu de Proust…. L’histoire d’une vie ne cesse d’être réfigurée par toutes les histoires véridique ou fictives qu’un sujet raconte sur lui-même. Cette refiguration fait de la vie elle-même un tissu d’histoires racontées. »

Ainsi sommes nous tous ces Bayeux complexes de récits collectifs et individuels, tissés de texte dont les origines et les implicites nous échappent parfois, mais qui laissent la part belle, et nécessaire, à l’imagination, la recréation, l’art :

« Le soi de la connaissance de soi est le fruit d’une vie examinée, selon le mot de Socrate dans l’Apologie. Or une vie examinée est, pour une large part, une vie épurée, clarifiée par les effets cathartiques des récits tant historiques que fictifs véhiculés par notre culture. L’ipséité est ainsi celle d’un soi instruit par les oeuvres de la culture qu’il s’est appliquées à lui-même. »

Ce qui est vrai pour l’individu l’est aussi pour la communauté :

« La notion d’identité narrrative montre encore sa fécondité en ceci qu’elle s’aplique aussi bien  la communauté qu’à l’individu. On peut parler de l’ipséité d’une communauté, comme on vient de parler de celle d’un sujet individuel  : individu et communauté se constituent dans leur identité en recevant tels récits qui deviennent pour l’un comme pour l’autre leur histoire effective. »

Les gains, dans ce passage de l’identité de l’essence à l’ipséité narrative, sont ceux de la liberté, du jeu et de la création. Les pertes proviennent d’une illusion à liquider : celle, rassurante, de la stabilité identitaire:

« l’identité narrative n’est pas une identité stable et sans faille » … « L’identité narrative devient ainsi le titre d’un problème, au moins autant que celui d’une solution »

Comme il y a loin de ces réflexions presque évidentes, à la naïveté intellectuelle, à moins que ce ne soit à la mauvaise foi, d’un gouvernement lançant une consultation au sujet de « l’identité de la France » ! Naïveté aussi, ou mauvaise foi, aussi, des lanceurs de polémiques aporétiques sur les racines chrétiennes de l’Europe… Les autres religions ne sont pas en reste, avec leurs surenchères d’observances rituelles anxiolytiques, face au nivellement de la mondialisation. Comme si l’identité pouvait avoir autre existence que celle de prérequis du discours.

Le choix de l’ipséité narrative, c’est l’acceptation d’un flou, d’un indéterminé, parfois angoissant, parfois exaltant, souvent ludique, mais toujours fomenteur de liberté, au coeur de l’individu. Celui de l’identité ontologique, c’est la poursuite douloureuse et sans fin, masochiste, carcérale, d’un fondement et d’une pureté qui sans doute se déroberont. Ce sont deux récits très différents qui s’écriront. Mais le plus intrigant est que tant d’écrivains aient fait ou bien font le second choix (je pense aux apologistes passés ou présents de la pureté identitaires), en contradiction avec la liberté de leur pratique narrative : sont-ils tant empreints du maniement des mots qu’ils en deviennent crédules de leur coltinement d’illusions essentialistes ?

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« La mécanique sadique de l’esclavagisme. Un roman qui vous prend doucement pour vous emmener au cœur de la folie raciste. »

Sade, Attaquer le soleilÀ l’occasion de l’exposition Sade du Musée d’Orsay, je republie l’article ci-dessous, du site Exigence Littérature (http://www.e-litterature.net/publier3/spip/spip.php?page=article5&id_article=248&fb_source=message)

Il répondait à un article plus ancien de Maurice Mourier dans La Quinzaine Littéraire ( http://laquinzaine.wordpress.com/2011/03/03/yann-garvoz-plantation-massa-lanmaux/)

Plantation Massa-Lanmaux – Yann Garvoz

mardi 31 juillet 2012, par Penvins
©e-litterature.net

La mécanique sadique de l’esclavagisme. Un roman qui vous prend doucement pour vous emmener au cœur de la folie raciste.

 

Le roman commence dans un style qui évoque la tragédie grecque, il se terminera dans la langue de Sade. Cette rupture de style a pu paraître à certains une faute de goût, voire une atteinte aux bonnes mœurs littéraires. Pour ces gens-là on n’a pas le droit d’échapper à la distance classique, de se laisser aller à la folie sadienne, et sortir de la maîtrise de la langue serait du Grand Guignol. Comme si l’esclavagisme pouvait se lire dans une langue contenue en une sorte d’analyse sociale, ou de composition littéraire fut-elle héritée des meilleurs auteurs antiques. Alors que c’est, tout au contraire, la force de ce roman de ne pas s’être enfermé dans la clarté organisationnelle d’un texte classique et que l’emprunt fait à la langue de Sade, loin d’en copier les défauts, met en valeur une dimension intime de l’esclavagisme qu’aucune étude historique n’aurait permis de rendre, et dévoile des ressorts pulsionnels que l’on évite habituellement de mettre en avant. Sans la violence de cette sexualité sadienne, sans la jouissance perverse de posséder comment peut-on rendre compte du crime esclavagiste ? Est-ce que cette folie-là est de l’ordre de la vraisemblance ? – dont on ne devrait sortir comme je l’ai vu écrit – je ne le pense pas, cette folie-là est bien invraisemblable, elle ne peut se lire si l’on s’en tient à la règle implicite du romanesque, paraître vrai au lecteur épris de rationalité et de bon sens. Mais les scènes de débauche outrancière dont on voit bien qu’elles gênent ne sont pas plus irréelles que ne le sont les analyses factuelles du commerce triangulaire. La cupidité des armateurs n’est pas la seule explication de ce trafic inhumain et c’est bien ce que fait sentir Yann Garvoz en inscrivant son roman dans la rupture.

Pour moi, ce roman ne peut se lire en écartant la transgression stylistique qui le fonde. Loin d’être ennuyeuses comme elles peuvent parfois l’être chez le Divin Marquis les scènes de débauche provoquent d’autant plus d’excitation qu’elles s’insèrent dans un récit que l’on avait cru politiquement correct, un récit non pas philosophique, mais une romance bien pensante, le héros revenu de métropole va se faire le chantre de la libération des esclaves. Mais alors que l’on s’imagine que Donatien rentré aux Antilles sera le messager des Lumières, à la suite d’une déception amoureuse tout bascule. On est bien là dans l’ordre de ce que d’aucuns appelleraient l’irrationnel, voire le passionnel, pourtant que l’on fasse bien attention : il ne s’agit pas d’une vengeance amoureuse mais d’un déferlement destructif et surtout jouissif. Ce qui sous-tend l’esclavagisme c’est cela, le plaisir pris à humilier et à détruire, ce qui lui donne une force capable de défier l’entendement, de résister à l’esprit des Lumières, c’est cette jouissance d’humilier l’autre et de s’humilier soi-même en tant qu’être humain. Donatien se révélera le pire des esclavagistes parce qu’il a cru que Charlotte l’aimerait et qu’elle l’a rejeté pour Hanus, faute d’obtenir l’amour il jouira de le nier. Grand Guignol dites-vous, méprisant toute théâtralisation qui s’écarte des canons de la langue classique, Grand Guignol, je vous l’accorde mais à la manière d’un Grand Magic Circus, une mise en scène fantasmatique qui se moque des règles de la bienséance littéraire et n’a pas peur d’affronter la cruauté du monde dans un grand éclat de rire provocateur. Bien sûr ces scènes-là ne sont pas vraisemblables, mais elles disent beaucoup plus que n’aurait dit une démesure sous contrôle, elles mettent à nu les passions que cachaient les rouages socio-économiques de l’esclavagisme, disent à quel point la violence n’est pas seulement un moyen de contraindre au travail forcé mais indépendamment de toute considération matérialiste, une jouissance qui ne se connaît plus de limites.

Pour toutes ces raisons je considère que ce roman est une complète réussite.

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Écrire sans se soucier du lecteur ? (pour répondre à un ami de Fort-de-France)

À noter qu'il m'a été impossible de trouver une représentation d'homme nu lisant. Des suggestions ?Cher L*E*M*, vous avez écrit vos oeuvres sans vous soucier de qui les lira, nous dites-vous. Cette déclaration vous honore et honore vos oeuvres, mais permettez-moi de ne pouvoir vous suivre sur cette voie. Permettez-moi de ne pas croire cela possible, d’écrire sans se soucier de qui lira. Peut-être, vous, ne vous en êtes pas soucié consciemment, mais l’acte d’écrire s’est soucié pour vous du lecteur, dans tous les choix artistiques que vous avez dû opérer. Et d’abord, le premier d’entre eux : celui de la langue dans laquelle vous écrivez. Vous avez choisi la langue de la tribu, et déjà c’est faire un choix de communication, c’est sélectionner qui peut vous lire. Ensuite les formes. On n’écrit pas sans guide, hors de tout genre, de toute structure établie. Par l’organisation d’un dialogue, par la disposition des mots sur la page, par la syntaxe, vous vous placez dans le format d’un acte de communication possible, vous écrivez sous le regard virtuel d’un récepteur doté de certaines capacités de déchiffrement. Pour échapper à toute forme préétablie, non codifiée dans le cadre de la communication, non inscrite dans le grand catalogue et l’histoire de notre Culture, non frayée par des milliers ou des millions d’écrivants/lisants, échappant à la relation écrivain-lecteur, il faudrait une production aléatoire telle que pourrait la réaliser un ordinateur.
Pour reprendre un concept, si je me souviens bien, proposé par Umberto Eco (ou Hans Jauss, sous le terme d’horizon d’attente), tout acte d’écriture détermine son « lecteur idéal », production du texte… comme vous même, l’écrivain ! Lecteur et écrivain, sont sécrétés par le texte… Ils en sont les premiers personnages, qui ne sauraient manquer.
Avec mes fraternelles amitiés de personnage,

YG
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Petite note de lecture : 2666, de Roberto Bolano (et de l’élasticité de l’intrigue en général)

« Oui à la désintriguation du récit, mais alors il faut intriguer le lecteur. »

Je me faisais un paradis estival de la lecture, longtemps reportée, du mythique 2666 de Bolano. Je l’aurai finalement abandonné vers la page 200 (sur les 1400 que compte l’édition de poche)… J’accepte d’avance toutes les remontrances, et les exhortations, et les éclairages sur ce qui m’aurait échappé d’essentiel. Néanmoins, avant toute nouvelle tentative d’ascension du massif de 1400 pages par une autre face, je voudrais réfléchir sur la question qu’il pose, de l’extension possible de l’intrigue. Tout écrivain s’est heurté à cette question, qui se noue à celles des genres, de la lecture, de l’horizon d’attente, du fond commun de formes  et d’expectatives qu’auteur et lecteur doivent partager. Quelques modèles sont bien éprouvés et sans surprise dans la culture occidentale, pour le meilleur et pour le pire : celui de la poétique d’aristote (premier critique structuraliste ?) — péripétie ou renversement, dénoûment, pathos — destiné à la tragédie, le carcan des trois unités qu’en a tiré notre clacissisme, le schéma actanciel — sujet, objet, quête, opposants et adjuvants, etc… —, isolé par Greimas (schéma dont use et abuse Hollywood), instauration et distillation d’un secret… Dans toutes ces structurations, le principe reste plus ou moins celui de Vitruve : l’unité dans la diversité. Tenir l’intrigue. L’écueil de mettre en oeuvre de tels modèles (plus ou moins spécifiés aux différents genres de la littérature) est de tomber dans la répétition, ou le manque d’originalité. La modernité littéraire — le flux de conscience avec Dujardin, Woolfe, Joyce, nouveau roman, intrigues latentes de Sebald (que je trouve personnellement très fascinantes) — n’a cessé de provoquer les limites de l’intrigue lisible, de jouer avec elle. Jusqu’au flux d’un esperanto obsessionnel et morbide en même temps que somptueux, chez Guyotat. Mais jusqu’où peut-on aller dans l’absence de repères, dans la rupture de contrat  ? Le lecteur peut s’amuser, se passionner, du défi de signifiance, d’organisation, que lui présente un texte (le mot de « récit » contient trop de présupposés), mais accepterait-il qu’il n’y eût, ultimement, pas de forme reconnaissable ? Prenant de la hauteur, Ricoeur dans Temps et Récit établit même que la mise en intrigue est l’établissement dans le temps d’une organisation, et que ceci est jouer, si l’on veut, avec notre conscience du temps ; à titre d’exemples, Ricoeur considère une série d’oeuvres, historiques (école des Annales…) ou fictionnelles (flux de conscience, Recherche du Temps Perdu…) qui semblent tourner le dos aux organisations traditionnelles du récit, et montre qu’à les considérer dans leur ensemble et dans une rétrospection de la lecture, une relecture au moins virtuelle, elles ne déjouent pas le principe de la mise-en-intrigue.

Pour en revenir à 2666, j’ai abandonné ma lecture au moment où, après que tout se fût déployé assez classiquement sous le principe organisateur de la quête (celle de l’écrivain allemand nobelisable mais disparu Arcimboldi), cette première progression n’aboutit à rien qu’à une impasse, et la compagne d’un personnage jusqu’alors secondaire devient soudainement le centre d’une deuxième focale. Bien sûr, ce coup-de-théâtre narratif pourrait stimuler l’intérêt, et le décontenancement du lecteur reproduire celui des premiers personnages parvenus au bout de leur impasse ; bien sûr bis, ce ne serait pas le premier livre que je lis dans lequel l’établissement du sens est contrecarrée par une facétie narrative de l’auteur. Alors pourquoi mon abandon de cette lecture, alors que je l’ai poursuivie dans les retournements similaires d’autres romans ? La leçon pratique que j’en tire (purement subjective mais sur quoi d’autre se fonder, ultimement, dans la myriade de choix qui se présentent à vous lorsque vous écrivez des livres ?), ma leçon donc est qu’il faut tout-de-même nourrir le lecteur de bonnes choses, pour l’emmener loin. Or je ne trouvais pas d’intérêt à cette nouvelle construction de personnage, à l’exposé méticuleux d’une nouvelle vie imaginaire — ni au bla-bla psychologisant qui le constituait — ni surtout à la langue assez terne dans lequel il s’inscrivait. Ce qui me ramène à mon dada : pour survivre dans ces méandres narratifs, il m’aurait manqué des événements de langage ! À la rigueur, il faudrait que tout phrase comptât et pût être détachée comme une maxime intense. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire ! Et même alors, jusqu’où peut suivre le lecteur ainsi appaté par les cailloux blancs du discours ? Jusqu’à l’avortement de toute mise en intrigue ? Jusqu’au vide ? Je me souviens d’un autre échec de lecture, celui des nouvelles de Donald Barthelme, un auteur culte américain. Mais il me reste, de cette impossibilité de la mise-en-intrigue de ma lecture, une frustration… intriguante ! qui me fera y revenir une deuxième fois. Oui à la désintriguation du récit, mais alors il faut intriguer le lecteur.

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Petite note de lecture : Tinkers (Les foudroyés) de Paul Harding

Tinker n.
1.
A traveling mender of metal household utensils.
2.
Chiefly British A member of any of various traditionally itinerant groups of people living especially in Scotland and Ireland; a traveler.
3.
One who enjoys experimenting with and repairing machine parts.

4. A clumsy repairer or worker; a meddler.

Un étrange destin pour un étrange livre, écrit par un étrange bonhomme… Paul Harding est inconnu dans le monde littéraire américain, et pourtant il est le lauréat 2012 du Prix Pulitzer (le plus grand prix littéraire américain), pour son premier roman, écrit il y a six ans et publié, après de nombreux refus, presque confidentiellement. Le roman d’un poète qui aurait finalement colligé ses fragments, ses épiphanies et ses morceaux de bravoure, au long d’une trame narrative un peu lâche, à laquelle certains morceaux ne paraissent rattachés qu’accidentellement.
Mais quels morceaux ! Dans une langue belle et surprenante — qui tranche sur la monotone domination de l’écriture blanche contemporaine — Paul Harding ne nous cause de rien moins que de la nature de l’univers, de sa fragilité, son tissu d’apparences toujours prêtes à se déchirer ou à choir, en laissant à nu un noumène au sujet de laquelle le lecteur ne saura pas plus que, dans les Évangiles, il n’apprend ce qui se trouvait  derrière le voile du Temple.  Avec un roman situé dans le Maine (une région où votre serviteur a vécu deux belles années entre mer et forêt), on aurait pourtant pu attendre un lyrisme de la nature, de la forêt et des saisons, mais les intérêts de Harding sont à une autre échelle, cosmogonique et démiurgique. Ce qu’illustrent également les lectures de théologie et de physique théorique que l’auteur, Nouvel-Hésiode de la Nouvelle-Angleterre, revendique dans un nouvel entretien avec le Nouveau York Times.

Et quant à la trame narrative lâche précédemment évoquée, elle file l’agonie de Georges Washington Crosby, visité sur son lit par une foule de parents et de souvenirs — en particulier, pour les souvenirs, ceux relatifs à Howard, le père épileptique qui les avait abandonnés, lui, sa mère et sa soeur. La mort d’Howard ayant été décrite comme en passant, au milieu du livre, avant que ne reviennent d’autres souvenirs de son vivant, les deux hommes et finissent alors par se confondre dans la même suggestion de la fugitivité de la conscience humaine.

Si l’intrigue, chère à Ricoeur, n’est peut-être pas suffisament tenue (Harding a écrit son livre par fragments, lorsque l’inspiration lui venait, et où qu’il se trouvât et quoi qu’il fît à ce moment), en revanche la beauté surgit au détour de presque toutes les phrases, et de toutes les situations. Une beauté métaphysique du paragraphe, servie par une approche sensuelle du mot et de la phrase. Toutes les lectures en somme du professeur Harding ! La seule description du ciel nocturne, chéant comme un dais sur le lit d’agonie de Georges (jamais, une fois le noir même du ciel dégringolé,  ne saura-t’on ce qu’il restait à voir), ou bien l’avant dernier paragraphe en lequel est résumée la touchante fragilité et la parenté de toutes les vies humaines, à eux seuls justifieraient la lecture.

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L’ÉPOPÉE, un article essentiel de Florence Goyet

Dans le cadre des recherches accompagnant la rédaction de mon roman La Bibliothèque des Sables, je découvre cet  article (cliquer pour le lire) particulièrement dense et synthétique, qui fait le bilan des recherches récentes sur l’épopée, et de l’évolution des définitions et des conceptions de ce genre — ou plutôt, pour sauter à la conclusion de l’auteur, du « travail épique », trait potentiel de toute littérature, même hors épopée.

Extrait nodal : « « S’il fallait caractériser l’épopée d’un seul mot, ce serait « polyphonie », au sens le plus plein que le mot a chez Bakhtine: non pas seulement « dialogisme » mais bien présence de « voix également valides », heurt de vérités contradictoires dont aucune n’est privilégiée. C’est le trait essentiel de l’épopée, ce qui la distingue des innombrables récits héroïques simples qui présentent sans ombres le « Veni, vidi, vici » d’un Persée délivrant Andromède. Cette polyphonie est indispensable – et son absence signe l’échec de l’épopée. Historiquement, on l’a vu, la crise n’a pas pu être résolue par les moyens conceptuels. Cela signifie que l’on ne sait pas d’avance quel chef a le droit pour lui, quelle position politique est valide – et invalide les autres. La solution épique, ce sera donc d' »essayer » les divers possibles, de les prendre au sérieux: de suivre leur logique sans décider d’avance de leur valeur respective. En un mot, d’instaurer une véritable polyphonie. »
[…]
« Car la polyphonie n’est pas aisée, et elle n’est pas un donné. Le premier mouvement de l’épopée, c’est bien au contraire de tâcher d’établir un ordre artificiel – comme le fait la foule des récits héroïques. C’est un premier traitement du thème de la guerre, ce que j’appelle « apprivoiser Arès » – Arès, le dieu grec qui symbolise le carnage, la guerre dans toute sa violence déchaînée. Un récit guerrier, presque toujours, va nous donner de la guerre une épure, une image simplifiée. C’est l’une des raisons pour lesquelles on a pu parler de « transparence » et d' »immédiateté » pour l’épopée, qui serait œuvre de « souriant(s) Homère ». De fait, la mêlée qui caractérise la « vraie » guerre est presque absente. Les combats sont des successions de duels, qui ramènent la confusion à l’ordre, le carnage à une sorte de danse, dont on décrit la chorégraphie en oubliant la violence. Les héros sont loués au-delà de toute mesure, comme s’ils représentaient la réponse »

Par Florence Goyet, professeur de Littérature Générale et Comparée, Université Stendhal Grenoble 3
Article en ligne : http://www.vox-poetica.org/sflgc/biblio/goyet.html#_ftn62

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Note de lecture / Renaissance : Les Langages de Rabelais, de François Rigolot

Beauté, mon beau souci, m’ayant conduit il y a quelques années à entreprendre, sans aucune considération de carrière ou d’utilité une étude d’un aspect de l’oeuvre de François Rabelais, il me paraissait dommage que dormissent mes notes d’alors, qui pourrait être utiles à d’autres amants de la langue française. L’ouvrage que je résume à grands traits ci-dessous fut le plus spectaculairement décapant de ceux qui m’aidèrent à dépouiller l’oeuvre de Rabelais de sa gangue scolaire, et des sens convenus dont elle est communément affublée.

Dans sa préface à cette réédition de son livre de 1972, François Rigolot renvoie dos-à-dos les tenants de deux paradigmes interprétatifs : d’un côté les partisans de la seule analyse textuelle et structurale, convaincus de la pluralité et de l’ambiguïté essentielle de l’écriture de Rabelais ; de l’autre les érudits soucieux de débusquer les sources, adeptes d’une « lecture transparente et sans équivoque de la fiction rabelaisienne » ; les seconds se méfiant de l’anachronisme au profit de la recherche d’un « catachronisme » (le terme est de F.Rigolot) sans doute illusoire.

Néanmoins, tout comme il ne faut pas prendre au mot le subtil Alcofribas en son prologue de Gargantua, François Rigolot, dans la suite de la préface et dans les études qui constituent le corps du livre penche décidément du côté des premiers, les seconds étant même accusés (p. *5) d’être les véritables fauteurs d’anachronisme : la polysémie appartiendrait en effet « de plein droit à l’épistémologie de la Renaissance », et « L’équivoque habite la pluralité [des] langages [de Rabelais] » (p.*10) . Le sujet de l’étude est ainsi « la place accordée [par Rabelais] aux problèmes linguistiques » (p.11) (et, pour les personnages, « le problème existentiel de l’expression », p.13). L’emploi du mot « langage », sous la plume de François Rigolot et dans ce livre, pourrait par ailleurs être l’objet de toute une discussion, tant il relève plus du dialogisme bakhtinien que des langues : il est donné au mot langage le synonyme de « mode d’expression » (p.11).

Pour déterminer, dans le cadre de cette « lecture langagière » de l’œuvre, quels sont les élements signifiants, François Rigolot adopte la méthode structurale : il replace les valeurs des différents langages dans un système d’oppositions réciproques (le langage du géant ayant pour fonction, remarque t-il, de fixer la norme), et considère de même que la signifiance des traits stylistiques résulte d’oppositions internes au texte, par exemple entre des thèses ou des éléments opposés, ou entre un sens et une forme, ou encore entre deux styles, voire deux tendances de Rabelais (évangéliste/satiriste) ; cette série d’oppositions composerait un langage agoniste propre à cette oeuvre. François Rigolot semble considérer la tension fond/forme, en particulier, comme la source du comique, mais ne se prononçant pas sur ce qu’est le comique il ne fait que reporter la question à une inconnue de niveau supérieur. (Une thèse annexe, qui concerne la dualité du comique, savant et populaire, de Rabelais, n’est pas sans rappeler celle de Mikhaël Bakhtine ; François Rigolot pouvait en avoir eu connaissance en 1972, la traduction anglaise de L’œuvre de François Rabelais datant de 1968.)

La deuxième partie du livre, consacrée aux Tiers, Quart et Cinquième Livre, est moins convaincante. L’auteur semble céder à la tentation de l’explication univoque, mais en fournit plusieurs, contradictoires : « polarité qui hantait les humanistes vers 1530 : rejet des langages empruntés ou falsifiés qui opacifient la pensée, quête d’une parole « naturelle », originaire, qui est signifiante parce que transparente. » (p.115) ; le thème fondamental des derniers livres est celui d’un « monde privé de communications ; monde des isolés », de l’« impossibilité […] d’établir un terrain d’entente, d’établir […] le langage de la compréhension » (p.142) ; « le thème du Tiers Livre : le refuge du scrupuleux, de l’hésitant, dans une garantie verbale qui s’impose de l’extérieur» (p.164) ; échapper au réel resterait « le seul chemin de repli » (p.166) « il fallait ce désarroi initial pour que puisse naître l’élan lyrique […] qui fera sortir le quêteur des « lacs de perplexité » […] Ce sera l’appel tonifiant et libérateur de l’encomium » (p.174)

Rigolot conclut ainsi sur le « fol éloge de la folie » , de manière un peu artificielle car il n’étudie pas les livres dans l’ordre et se fonde surtout sur le Tiers Livre pour sa conclusion : « dans l’éloge paradoxal tous les sujets se valent. Le cosmos a une finalité et chaque « finaliste » est convaincu qu’il en possède la clé ; mais cette clé importe peu, pourvu qu’elle soit chantée avec conviction. » (p.162). Toutefois, « contrairement à Érasme, l’Encomium Morias du disciple est au niveau de l’écriture et non de la pensée : il se prouve tel à mesure qu’il s’écrit. »

RIGOLOT, François, Les langages de Rabelais, Éd. Droz, Genève, 1996.

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LE MÉTROPOLITAIN – Nouvelles / Yann Garvoz, toutes les larmes des Antilles / 06 juin 2012

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LE MÉTROPOLITAIN – Nouvelles

Yann Garvoz, toutes les larmes des Antilles

06 juin 2012
par Raphaël Lopoukhine

Yann Garvoz est agrégé de mathématiques. Par plaisir, il a aussi passé une maîtrise de littérature. Enseignant au Lycée français, il est surtout écrivain. Un écrivain franco-ontarien depuis cinq ans maintenant qu’il vit à Toronto.

Dans la vingtaine, il est parti, comme tous les jeunes hommes de son âge, faire son service militaire. Lui, le passe dans les Antilles, en Guadeloupe. Par intérêt, par curiosité pour l’endroit où il vit, il s’intéresse à l’histoire des Antilles. Une histoire marquée par l’esclavage. Ses lectures et ses découvertes le choquent. « En tant que Français, j’ai eu l’impression d’avoir du sang sur les mains », explique-t-il. Un étrange sentiment. « Pas celui de culpabilité, mais celui d’être marqué. » La famille de l’écrivain n’est liée en aucune façon au trafic d’êtres humains.

C’est de ce sentiment que naîtra l’envie d’écrire le livre qu’il présenté à l’Alliance Française le jeudi 31 mai : Plantation Massa-Lanmaux. L’histoire d’un échec. Celui de Donatien, d’abord. Jeune premier naïf revenu de France vers la plantation familiale avec des idées modernes, celles des lumières, plein la tête. Et qui va tenter, en vain, d’appliquer ces idées à la plantation de son père, qui fonctionne sur un système de soumission totale des esclaves « noirs », à leurs maîtres « blancs ».

Yann Garvoz a répondu, en public, aux questions de la journaliste Sophie Perceval, qui officie sur les ondes de Radio-Canada, ainsi que sur TFO. Un exercice auquel la jeune femme est habituée, si ce n’est que pour une fois, elle connaissait personnellement l’auteur qu’elle interviewait.

« Je l’ai rencontré dans la communauté française. Je l’ai rencontré avant de le lire. Je ne m’attendais pas à lire ça. J’ai été très surprise. » Surprise par ce style, « touchée et séduite ».

Le style de Yann Garvoz est unique. Au delà du pléonasme (chaque écrivain a un style unique, sinon, ce n’est pas un écrivain), on trouve une réelle singularité dans cette façon de mêler le lexique du XVIIIe siècle et les formules plus contemporaines. « Un effet d’étrangeté » s’en dégage, comme le soulignait Sophie Perceval. On ne connaît pas l’ensemble des mots, parfois techniques, employés. Mais on devine, parfois. Cela suffit.

Le livre est dur. Certaines descriptions violentes. La violence et l’horreur peuvent parfois être mises à distance par un vocabulaire lointain. Mais cette distance, au lieu de banaliser l’épouvante, la renforce. Et l’on se prend à réfléchir au paradoxe du plaisir qu’on éprouve à lire une scène monstrueuse. Un paradoxe tout à fait sadien (voire sadique). L’une des références assumées de l’auteur.

Mais au delà des paradoxes et des condamnations, il y a dans ce livre une critique acérée du système colonialiste. Un système qui déteint sur les esprits, dont on ne sort pas et qu’on ne détruit pas si facilement. Lorsqu’un personnage tente de fuir, il se trouve confronté à la réalité de l’île, métaphore concentrationnaire du système.

Yann Garvoz a écrit son livre à une époque de refoulement du passé colonial de la France. À une époque où des députés de la majorité UMP déposaient une loi demandant la reconnaissance des « bienfaits de la colonisation ». À une époque où un candidat à l’élection présidentielle pestait contre la « repentance » et où, une fois élu aux plus hautes fonctions, allait expliquer à Dakar que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». C’est un livre de vérité, mais pas un livre de culpabilité, que propose Yann Garvoz.

Cet ouvrage lui a d’ailleurs valu d’être en lice pour les prix Trillium, qui récompensent chaque année le meilleur de la littérature ontarienne, francophone comme anglophone. Le nom des lauréats sera annoncé le 20 juin.

Photo : Yann Garvoz

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